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Mademoiselle

Mademoiselle

Titel: Mademoiselle
Autoren: Jacqueline Duchêne
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larmes.
    J'en versais encore et encore en apprenant les conditions de son installation, en plein hiver, dans la gigantesque forteresse glacée, et celles de sa détention. C'était comme si je partageais son sort, tant mon imagination était vive à me le représenter.
    Le ministre Louvois, qui le haïssait parce qu'il avait jadis séduit puis méprisé l'une de ses sœurs, avait la haute main sur sa prison. Il le mit au secret, n'autorisant auprès de lui qu'un valet, lui refusant de communiquer avec Fouquet, qui dormait un étage au-dessus de lui. Je grappillais à prix d'or quelques vagues informations des agents du ministre qui circulaient entre Paris et Pignerol.
    Tout m'alarmait de ce qu'ils me racontaient, ses brusqueries, sa maigreur, sa barbe qu'il laissait pousser, ses cheveux, déjà rares, qu'il perdait, ses extravagances qui montraient le dérangement de son esprit, le feu qu'il avait mis au plancher de sa chambre, s'imaginant en desceller les lattes. Enfin, vers 1675 je crois, sa tentative d'évasion.
    Il la préparait, dit-on, depuis trois ans. Depuis son arrivée en fait. Barreaux rompus, échelle de corde, fuite miraculeuse dans la nuit, rien que de banal. Son malheur voulut qu'au petit jour il tombât sur une porte ouverte. Il l'emprunta. Il se trouva dans un bûcher où une servante, occupée à prendre du bois, le reconnut et alerta aussitôt son promis. Un soldat de la garnison !
    J'en ris aujourd'hui, mais je pleurais alors toutes les larmes de mon corps. Sans cesse, je suppliais mon cousin de sortir l'homme que j'aimais de sa prison.
    Les saisons défilaient, inexorables. Les arbres du Luxembourg — ceux que la stupidité de ma belle-mère avait épargnés — verdissaient, jaunissaient, se dénudaient. Lauzun ne revenait pas. Il restait enfermé dans ses montagnes enneigées.
    Chaque matin, en pleine nuit, au milieu des cérémonies de la cour, à tout moment, son absence me revenait comme un coup d'épée au cœur. La déploration superbe et gémissante que chantait la nymphe de la Seine au début du Cadmus de Lully me trottait dans la tête : « Le héros que j'attends ne reviendra-t-il pas ? Serai-je toujours languissante dans une si cruelle attente ? » Je faisais jouer l'air par mes violons interminablement, jusqu'à ce que je m'écroule, brisée par les larmes, recrue d'émotion, tremblante, frissonnante sous l'effet de la musique.
    Mes chagrins m'occupaient tant que je ne m'occupais pas des affaires des autres, ni des succès militaires du roi. Juste pour penser : « Si Lauzun était à la guerre, je risquerais à chaque instant de le perdre. La prison le protège. »
    Je m'intéressai peu à la naissance d'un nouveau bâtard chez la Montespan, un fils, Louis-Auguste. La veuve Scarron eut la charge de l'élever, secrètement, ainsi que sa sœur aînée et les deux autres qui naquirent ensuite. Quand je la rencontrais, je m'étonnais que cette veuve eût tant d'envie de me plaire. De l'humeur où j'étais, je ne la cherchais guère, pas même quand elle fut devenue marquise de Maintenon par la protection de la Montespan.
    Quant à celle-ci, elle ne me quittait plus. Je ne pouvais croire que ce fût par amitié pour Lauzun. Il lui avait rendu des services, procuré des bijoux à bas prix. Juste avant son exil à Pignerol, il l'avait aidée au moment de la naissance de Louis-Auguste. À peine accouchée en grand secret à Saint-Germain, elle l'avait chargé de porter le nouveau-né à la Maintenon qui attendait dans une voiture prèsd'une porte de service. Il avait rempli sa mission, cachant l'enfant dans son manteau, tremblant qu'il ne se mît à crier.
    Mais il lui avait aussi joué un tour d'une audace rare. Quel extravagant quand j'y pense !
    Pour une promotion qu'il souhaitait, il avait demandé à la belle Athénaïs d'intercéder auprès du roi. Doutant de sa loyauté, il décida de l'épier. Il réussit à se cacher sous le lit où elle était couchée avec son royal amant, et entendit que, loin de parler en sa faveur, elle le dénigrait abondamment.
    Malgré la colère qui l'envahissait, il s'obligea à demeurer calme, immobile sous le lit, conscient que le moindre mouvement, le moindre soupir pouvait le ruiner à jamais.
    Il dut respirer quand les amants quittèrent leur chambre... Et résolut de se venger. Il s'arrangea pour demander à la Montespan, avec douceur, si elle avait songé à intervenir pour lui. « Assurément », répondit-elle. Alors, il lui répéta
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