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Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)

Titel: Lionel Lincoln (Le Siège de Boston)
Autoren: James Fenimore Cooper
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regardait lui-même le bâtiment avec des sentiments qui n’étaient pas très-éloignés de la profonde admiration de l’idiot. Job examinait sa physionomie, et il se méprit aisément sur son expression ; il étendit le bras vers une des rues les plus étroites qui aboutissaient à cette place, et où l’on voyait quelques maisons qui annonçaient des prétentions plus qu’ordinaires.
    – Et là, dit-il, voyez-vous tous ces palais ? Tommy le Ladre demeurait dans celui qui a des pilastres sur le haut desquels vous voyez des fleurs et des couronnes ; car Tommy le Ladre aimait les couronnes ; mais la maison commune de la province n’était pas assez bonne pour lui, et il demeurait là ; à présent on dit qu’il demeure dans un buffet du roi.
    – Et qui était ce Tommy le Ladre, dit l’officier, et quel droit aurait-il eu de demeurer dans la maison commune, quand il l’aurait voulu ?
    – Quel droit il en aurait eu ? Parce qu’il était gouverneur, et que la maison commune de la province appartient au roi, quoique ce soit le peuple qui la paie.
    – Avec votre permission, Monsieur, dit Meriton qui était toujours derrière son maître, les Américains donnent-ils à tous leurs gouverneurs le nom de Tommy le Ladre ?
    L’officier tourna la tête à cette sotte question de son valet, et s’aperçut que son vieux compagnon de voyage les avait suivis jusque-là. Il était alors appuyé sur son bâton, et contemplait avec attention la maison où avait demeuré Hutchinson, tandis que les rayons de la lune tombaient d’aplomb sur sa figure ridée mais expressive. Il fut si surpris de le revoir, qu’il ne songea pas à répondre à son valet, et Job se chargea de justifier lui-même les termes dont il s’était servi.
    – Sûrement, ils leur donnent ce nom à tous, dit-il ; ils appellent toujours les gens par leur véritable nom. Ils appellent l’enseigne Peek, enseigne Peek ; et si vous donniez au diacre Winslow un autre nom que diacre Winslow, vous verriez comme ils vous regarderaient ! Je suis Job Pray, et l’on m’appelle Job Pray. Pourquoi donc n’appellerait-on pas un gouverneur Tommy le Ladre, si c’est un Tommy le Ladre ?
    – Prenez garde de parler si légèrement du représentant du roi, dit le jeune officier en levant sa badine comme s’il eût voulu le châtier ; oubliez-vous que je suis militaire ?
    L’idiot recula un peu d’un air craintif, et lui dit en le regardant avec timidité :
    – Je vous ai entendu dire que vous êtes de Boston.
    L’officier allait lui répondre avec gaieté ; mais le vieillard passa devant lui avec agilité, et se plaça à côté du jeune guide avec un empressement si remarquable, que le cours des pensées du jeune militaire en fut entièrement changé.
    – Ce jeune homme connaît les liens du sang et de la patrie, dit le vieillard à demi-voix, et je l’honore pour ce sentiment.
    Ce fut peut-être le souvenir soudain du danger de ces allusions que l’officier comprenait parfaitement, et auxquelles son association accidentelle avec l’être singulier qui se les permettait commençait à familiariser son oreille, qui l’engagea à se remettre en marche silencieusement, livré à ses réflexions. Ce mouvement fit qu’il ne s’aperçut pas que le vieillard serra cordialement la main de l’idiot en murmurant encore quelques mots d’éloge.
    Job reprit son poste en tête des autres, et l’on se mit en marche quoique d’un pas un peu moins rapide. À mesure qu’il avançait dans la ville, il hésita évidemment deux ou trois fois sur le choix des rues qu’il voulait prendre ; et l’officier commença à craindre que l’idiot ne fût assez malin pour vouloir lui faire faire une longue promenade, au lieu de marcher directement vers une maison dont il était évident qu’il s’approchait avec répugnance. Il regardait autour de lui, dans le dessein de demander le chemin au premier passant qu’il rencontrerait ; mais tout était déjà aussi tranquille que s’il eût été minuit, et pas un individu ne se présenta à ses yeux dans aucune des rues qu’il traversa.
    Enfin l’air de son guide lui parut si suspect, qu’il venait de prendre la résolution de frapper à une porte pour demander des renseignements, quand, en sortant d’une rue sombre et étroite, ils se trouvèrent sur une place beaucoup plus grande que celle qu’ils venaient de quitter. Passant le long des murs d’un bâtiment noirci par le temps, Job les
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