Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur
Autoren: Henri Gougaud
Vom Netzwerk:
lui donner du sucre.
     
    — Fils, dit le cardinal, soulève un peu mes oreillers
et aide-moi à m’asseoir. J’aimerais voir les bateaux sur la Garonne.
    Jacques le prit aux aisselles, et comme il étreignait ce corps
si maigre et brûlant, si léger et fragile dans le manteau qui l’enveloppait, il
éprouva soudain un effroi obscur et une profonde pitié. Les mains osseuses du
vieux Novelli le saisirent nerveusement aux épaules. Un bref instant, il pensa
qu’il ne pourrait jamais plus se défaire de cet agrippement de mourant. Lui
vint dors le désir furieux de serrer son oncle contre sa poitrine jusqu’à
entendre craquer ses os, en pleurant d’amour affolé. Sa bouche effleura le
front du vieillard, sans qu’il le veuille. Il le baisa et se défit doucement
des serres qui le tenaient encore. Il dit :
    — Êtes-vous bien ainsi, oncle Novelli ?
    — La fenêtre est trop haute, le ciel me tient, gémit le
vieil homme. Reste près de moi, Jacques.
    Dehors régnait maintenant un silence de grand abandon. On n’entendait
plus, sous le bon soleil, que les grincements des moulins désertés. Les gens
avaient couru à l’émeute dans les ruelles dévastées où Jean le Hongre, sanglant
et bourbeux sur son cheval, devait fendre superbement la foule échauffée, portant
haut sa tête dans les cris de haine et de bénédiction, poings et bâtons brandis
à hauteur de ses rênes.
    Il traînait après lui depuis la Normandie sa troupe d’étranges
croisés, fous braves et guenilleux auréolés de lumière visionnaire, convaincus
que Dieu les avait choisis, pauvres bergers, pour libérer la Terre sainte dont
ils ne savaient rien, sauf qu’elle était au-delà des mers. Ils s’en étaient
donc allés droit au sud, armés de croix et de bannières, de cannes ferrées, de
hautes piques et de chansons tempétueuses. Mais leur déraisonnable vaillance s’était
bientôt délavée dans les pluies et les vents, usée sur des chemins trop longs. Certains
avaient compris, en ces temps de fatigue, que Jérusalem était inaccessible, et
que l’unique labeur souhaité par le Dieu qu’ils aimaient était de chercher en
eux-mêmes la Cité céleste. Ceux-là avaient abandonné la Croisade. Les autres, poussés
par un désespoir enragé, avaient continué de marcher. Alors, pour que sa troupe,
l’esprit perdu, ne parte pas en lambeaux, Jean le Hongre lui avait donné en
pâture des Infidèles à sa misérable mesure : les juifs. Depuis l’Aquitaine,
les Pastoureaux, guidés, croyaient-ils, par la pitié divine, entraient
aveuglément, à coups de ferrailles et de poings nus, dans les Juiveries qu’ils
trouvaient sur leur route, traînaient au baptême tout ce qui portait figure
hébraïque et fendaient le crâne de ceux qui renâclaient. En pays agenais, ils
avaient ainsi tué une centaine de ces fils d’Israël coupables d’avoir refusé
les sacrements chrétiens. Et voilà qu’à Toulouse ils épouvantaient, en ce matin
d’avril, de pareilles gens, avec la joie féroce des assassins de grande foi.
    Le vieux Novelli chercha sur le drap la main de son neveu, en
s’effrayant à petite voix du désordre des rues. Jacques lui répondit, avec un
grand désir de l’apaiser, que ces Pastoureaux étaient infréquentables, certes, mais
utiles. Ils poussaient les juifs dans le giron du Christ. Était-ce un mal ?
Sans doute massacraient-ils trop ardemment. Mais Toulouse était une ville forte,
sanguine à l’excès. Une bonne saignée ne pouvait être que salubre. Quand ces
gens seraient partis, la piété du peuple se trouverait raffermie, plus vive et
craintive. Et puis il y aurait bientôt des maisons vendues à bas prix aux
alentours de la synagogue, rue Jouzaigues et rue des Sesquières, où des moines
nouveaux pourraient loger.
    — Novelli, murmura le vieil homme, pourquoi ne t’abandonnes-tu
jamais à la pitié ? Tu ne sais pas aimer, fils.
    — J’aime Dieu et ma mère l’Église, répondit Jacques
avec une raideur frémissante. Et je vous aime, vous qui avez vécu si loin de la
pauvreté que je désire.
    — Je confesse que j’ai longtemps considéré l’or, et les
beaux meubles, et les fresques vives aux murs comme nécessaires à mon bonheur, dit
tranquillement le vieil homme. Autant que je l’ai pu, j’ai joui de l’ampleur de
mes cathédrales, de la beauté de mes bagues, de mes vêtements, et certes, je
fus assez simple pour me plaire aux douceurs et aux flatteries que l’on me
prodiguait.
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher