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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur
Autoren: Henri Gougaud
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Hongre à genoux ?
Je préfère le voir sur ses pieds, et galopant au diable.
    — Sais-tu qu’il nous a publiquement accusés d’avoir de
fâcheuses bontés pour les gens de la Juiverie ? Nous devons l’empêcher de
chanter plus longtemps ses salissantes fariboles, sans pour autant le perdre, car
ce foutu vagabond sait allumer la foule, la flatter comme il faut, la faire
brailler d’aise. Il est comme une flamme agile, quand il parle. Gui, mon bon
frère, nous devons le persuader de mettre son éloquence et sa troupe au service
de l’Église. Ainsi nous aurons utilement travaillé. Tout à l’heure, tu prendras
ta crosse et ta mitre et nous descendrons sur la place. Nous amènerons l’animal
dans la cathédrale et le ferons s’agenouiller devant nous, en présence du
peuple. Ainsi nous ferons double bénéfice : le Hongre nous reconnaîtra
comme ses maîtres, et les gens ne songeront plus à nous railler quand ils
verront que nous sommes de taille à museler nos pires bêtes.
    Il écarta le rideau de la fenêtre et se tint là, un instant
rêveur, la moitié du visage au soleil, l’autre dans la pénombre. Il dit encore :
    — Le bon moment est proche. Les voix s’enrouent, la
poussière retombe, et le dernier juif baptisé court vers la Croix-Baragnon. Quelques
enfants, quelques béquillards et de rares cailloux le poursuivent. La foule est
fatiguée. La fête est finie.
    Il sourit mais ne bougea pas, entendant glapir une voix
familière, derrière lui : dame Grazide, la servante de Gui, venait d’entrer
dans la chambre, chargée d’un plateau de biscuits et de vin. Elle eut une
criaillerie de surprise, en voyant Jacques Novelli, mais son étonnement était
feint : elle avait tout entendu de leur conversation. La vieille linotte
le fit aussitôt savoir : à peine son plateau posé, elle pointa l’index
dans le dos de l’inquisiteur et ordonna vivement à l’évêque, son presque fils, de
ne pas écouter plus longtemps les extravagances de ce malotru qui n’avait même
pas fait un détour par les cuisines pour l’embrasser. Jacques la serra dans ses
bras.
    — Ne vous préoccupez pas de politique, mère Grazide, lui
dit-il. C’est un art trop vulgaire. Vous vous y saliriez.
    — La seule idée de respirer le même air que ce Hongre m’empuantit
l’haleine, dit sombrement Gui de l’Isle. Non, je ne toucherai pas à la
peau de ses pognes, même du bout de mon tisonnier. Beaucoup de juifs sont morts
aujourd’hui, Novelli. Certains étaient savants, ils parlaient le vieux grec. Tous
payaient à l’Église un tribut conséquent. Ils étaient plus utiles à nos œuvres
que les massacrantes dévotions de ce malandrin, dont tu fais si grand cas. Je
veux qu’il s’en aille, puisque je n’ai pas le pouvoir de le faire pendre. Et je
ne sortirai de cette chambre que pour aller en procession par les rues, rendre
grâces à Dieu de nous avoir débarrassés de lui. Ainsi, peut-être, j’apaiserai
les marchands qui restent à la Juiverie, et ils renonceront à quitter la ville.
    — Tu manques d’âme, monseigneur Gui, répondit Novelli. Tu
couves des rêves, comme une poule au nid, le cou dans ton jabot. Hé, reste donc
sur ta couette, j’irai seul à l’ouvrage, puisque le moindre vent t’effraie.
    — J’aime la paix, Jacques, la belle et bonne paix dont
tu n’as jamais su jouir, foutu diable. Certes, je suis peureux, et tu sais bien
que cela m’enrage. Mais regarde mes mains : je m’efforce de les garder
propres. Je fais tous les jours rogner mes ongles et reluire mes bagues parce
que ces mains sont faites pour bénir, et non pour soumettre les bêtes enragées.
D’ailleurs, dresser les chiens est un travail de serviteur.
    Il eut un ricanement satisfait, se renfrogna aussitôt et fit
mine de s’absorber dans l’étude de ses parchemins.
    — Serviteur ? J’en suis un, répondit Jacques
Novelli avec une hargne frémissante. Serviteur de Notre Seigneur Jésus-Christ
et de son Église. Serviteur, monsieur l’évêque. Je ne suis pas noble, moi, pardonnez-m’en.
Je n’ai ni serfs, ni vassaux, ni fourrures, ni bajoues.
    Gui de l’Isle se dressa, ronflant de colère et remuant
l’air de ses vastes manches. Dame Grazide accourut, agita les mains, elle aussi,
pour apaiser son maître. Elle n’y parvint pas, et s’empressa de servir le vin.
    — L’orgueil te dévore, dit l’évêque. Il te ravage. Il
te glace. Regarde-le, Grazide. Qu’y a-t-il derrière ce front ? Un
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