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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur
Autoren: Henri Gougaud
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mêmes
lois et je vais dans les heures qui passent, portant mes souffrances et mes
bonheurs, comme vous, maismoi je ne crains rien parce que je n’attends
rien, et je suis l’amant de tout regard qui cherche. » L’espoir est
inutile autant que l’angoisse des prochains hivers. Les travaux nécessaires
useront assez tôt ton corps et ton esprit. Ne t’impose pas ces sortes de
fatigues que seul l’orgueil commande, Jacques, tu n’y récolterais que du
mauvais vent.
    — Je ne pourrai jamais vivre comme tu dis parmi les
puissants, les menteurs, les gonflés de tripaille. Ceux-là n’ont pas soif d’amour,
Salomon, ils veulent régner, asseoir leur cul sur des têtes basses, rien d’autre.
Il faut les fuir, ce sont des diables.
    — Non : des enfants, monseigneur. Ils ne sont pas
allés où tu es allé, donc ils ne savent pas ce que tu sais, et ce n’est pas
parce que leur misère n’est pas visible qu’ils sont indignes de pitié.
    — Les saints ne sont chez eux que parmi le bas peuple. Ils
ne se mêlent pas aux cours des princes, des prélats, des sénéchaux.
    — La sainteté est chose intime, point publique. Cesse
de te perdre dans les naïvetés de l’apparence.
    — J’en connais qui ont souffert le martyre, nom de Dieu.
Ceux-là seuls sont grands et purs, cria Novelli, exaspéré.
    — Il est des routes qui vont au feu, d’autres aux cimes,
d’autres aux villages. À chacun la sienne. J’ignore ce qu’est la pureté, mais
je sais que la folie est de ne pas suivre sa route.
    — La souffrance et la mort ne sont pas respectables, dit
soudain Stéphanie, reniflant ses larmes. Me serais-je faite recluse à la porte
du Bazacle, tu m’aurais mieux aimée. Aime-moi vivante, imbécile.
    Novelli se redressa d’un coup, suffocant, tout bouillonnant
de paroles lourdes, enragées, prodigieusement amoureuses. Il voulut crier
quelque chose par le regard, agita les mains devant sa figure, empoigna sa
compagne aux cheveux, lui baisa violemment la bouche, la repoussa et la
contempla, éperdu, le visage pourpre, effrayé, furieux, suppliant. Elle baissa
la tête, essuyant ses lèvres mordues. Elle avait dans les yeux une joie de
victoire.
    Vitalis et frère Bernard se levèrent en disant qu’il leur
fallait abreuver les chevaux. Le moine avait l’air émerveillé. Passant derrière
Stéphanie, il se pencha sur elle et lissa sa chevelure en murmurant une
bénédiction. Elle le regarda s’éloigner, surprise, souriante, puis quitta elle
aussi la table avec les cruches vides en demandant à la boiteuse où étaient les
tonneaux. Novelli, les mains sous le menton, semblait maintenant absorbé dans
un songe matinal. Salomon, content de se retrouver seul avec lui, s’affermit
sur son tabouret et dit, chassant à petits coups la poussière de pain autour
des timbales :
    — T’ai-je parlé de cet alchimiste qui m’instruisit
autrefois, à Cordoue ? Je crois que oui. Il était aveugle et vivait de
menus colportages, d’aumônes. Un jour, comme il mendiait à la porte d’un
couvent, il sentit s’approcher un noble qui s’assit près de lui, sur la borne
du porche, et lui demanda simplement si sa compagnie ne le dérangeait pas. Mon
maître, flairant la bonté qui l’environnait, sut aussitôt que cet homme, qu’il
n’avait jamais rencontré, était pourtant un très intime compagnon. Il était
conseiller à la cour d’Andalousie, mais avait traversé les mêmes faillites d’âme
que lui, les mêmes morts et la même renaissance, c’est pourquoi ils s’étaient l’un
l’autre reconnus. Le mendiant n’avait aucun respect pour les gens de pouvoir, et
le grand personnage aucune pitié particulière pour les vagabonds, mais ils
parlèrent longtemps, convenant ensemble de la folie du monde, de la beauté de
la vie, de l’ignorance commune des puissants et des pauvres, de l’amour
nécessaire. À la fin, le noble baisa la main de l’aveugle et lui donna l’or qu’il
avait. L’aveugle ne lui fit pas l’injure de le remercier, car ils étaient
frères, et chacun reprit sa route. En apparence, l’une était poussiéreuse, l’autre
dallée de marbre. En réalité, elles étaient semblables, mais ils étaient seuls
à le savoir. Que tu sois évêque ne changera rien à ton âme, Novelli. Tu le
seras parce qu’il se trouve que c’est ton chemin. Une fois franchie la porte
qui s’ouvre devant toi, tu sauras reconnaître tes vrais compagnons, quel que
soit leur habit, et tu apprendras
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