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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur
Autoren: Henri Gougaud
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présente. Il m’accordera bientôt la pauvreté que je lui ai demandée, et
le bâton de pèlerin que nous devions tenir ensemble. Ne me parle plus si tu as
pitié de moi.
    — J’ai rendu visite à Gui de l’Isle avant de te
rejoindre, dit Salomon, remuant sur son tabouret comme un mal assis.
    Novelli lui fit face, la rogne à la bouche. Le juif, qui
taquinait des miettes sur la table, l’air faussement contrit, ferma à demi les
yeux pour dissimuler une irrépressible lueur d’espièglerie.
    — Le légat romain dont t’a parlé l’évêque arrive
aujourd’hui à Toulouse, où il passera la nuit prochaine. Ta foutue lettre ne
lui sera confiée que demain matin, à l’heure de son départ. Je l’ai lue, elle
est magnifique et misérable. Tu as encore le temps d’en gratter l’encre et de m’offrir
les parchemins blanchis, qui m’ont paru de belle qualité.
    Jacques gueula :
    — Je ne ferai rien de semblable, en se détournant comme
un offensé, mais il avait l’air d’espérer soudain, de revivre. Il faisait le
braillard mais jubilait obscurément.
    — Tant pis pour moi, dit Salomon.
    — J’ai subi de dures ténèbres, des brisements sinistres,
gronda Novelli, à nouveau courbé sur la table, tout gonflé d’une vigueur de
bélier. J’ai le sentiment d’avoir traversé la mort, Salomon, la vraie mort. J’ai
renoncé à mes pouvoirs et au secours de Dieu, je me suis dépouillé de tout, jusqu’à
l’amour nu. Je n’ai plus rien, je ne suis plus rien qu’une tête creuse sur un
corps d’épouvantail. Quelle autre route pourrais-je suivre que celles des
mendiants, dis-moi ?
    — Il te reste à franchir un dernier obstacle, Jacques, celui
qui te sépare de la paix. Tu peux encore te perdre, car rien n’est gagné, quand
tout ne l’est pas. Tu es passé par où ne passe pas le monde. Reviens au monde, fils,
ne te laisse pas emporter au large. Nous t’aimons.
    — Non, non, dit Jacques, pesamment accoudé, remuant le
front entre les épaules. Je n’ai rien appris, rien gagné. Tant de travail, tant
de chemin pour rien, Salomon ! Je n’ose plus lever la tête, de peur d’entendre
de mauvais rires dans le ciel.
    Salomon d’Ondes sourit et pencha sa bonne figure à toucher
presque la tempe de Novelli, qui contemplait obstinément un fond de vin, les
mains croisées sur sa timbale. D’un volet de lucarne que la boiteuse ouvrit près
de la porte le soleil leur vint devant, parmi les cruches et les deniers épars
sur la table.
    — Te souviens-tu, dit le juif, te souviens-tu de
Novelli le Jeune quand il revint de son collège romain avec sa science noble ?
Es-tu cet homme, Jacques ?
    — Certes non, je ne le suis plus.
    — Et de l’inquisiteur Novelli, qui rendit tant de
sentences impitoyables, du haut de sa cathèdre, t’en souviens-tu ?
    — Oui, je me souviens de lui. Il est mort, mille fois
brûlé.
    — Et celui qui voulait à toute force me faire agenouiller
dans son église, et me poussait à coups de belle langue, de menaces sournoises,
est-il encore vivant, dis-moi ?
    — Celui-là espérait un frère et se cognait aux murs, dit
Novelli. Il me plaisait assez, mais il est aussi tombé de moi en me laissant
étrangement vivant.
    — Ainsi te voilà libre, Jacques, et je suis libre aussi.
    — Pour toi, il est vrai que tu peux faire selon ton
cœur. Vis, c’est tout ce que je souhaite.
    — Ce que je peux, tu le peux aussi désormais. Tu n’as
plus à souffrir, mon bon fils. Tu n’as plus à te débattre, tes vieilles prisons
se sont défaites en poussière. Tu peux entrer dans Toulouse sur ta mule, assuré
de ta bonté, aller à tes affaires, jouer aux dés ou chanter la messe, baptiser,
consoler les mourants, goûter les fruits du temps, tous les fruits, grand
ouvert, Novelli, comme une maison de vie. Une maison de vie : voilà ce que
doit être un homme véritable, et tu le seras bientôt car tu sais aimer, tu
connais les âmes. De ce que les jours à venir t’offriront, tu choisiras ce qui
est juste, ce qui est bon, sans souci de Dieu ni de toi-même, et tu apprendras
à dire, pour ceux qui sauront entendre, des paroles sûres et vraies. Sûres et
vraies : tu ne parleras plus pour chasser les effrois, pour tromper les
malheureux ou te farcir de gloire, mais pour nourrir ce qui doit l’être et te
sentir vivant. Tu ne cacheras plus l’amertume du monde mais tu diras aux gens :
« Voyez, où vous êtes je suis, aussi mortel que vous, soumis aux
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