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L'inquisiteur

L'inquisiteur

Titel: L'inquisiteur
Autoren: Henri Gougaud
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vers Salomon :
    — Je me souviens de toi, juif, dit-il, reniflant et se
frottant les yeux. Tu étais le plus lâche de tous ceux que j’ai conduits à la
cathédrale Saint-Etienne. Tu suais de peur et faisais l’important. Tu braillais
je ne sais quoi, que tu étais l’ami du cardinal Arnaud, je crois.
    — C’est vrai, répondit Salomon. Je n’avais jamais connu
pareille détresse. J’étais prêt à toutes les bassesses pour me sortir de tes
pognes.
    — Parce que tu aimes la vie, dit le Hongre, hochant la
tête avec respect.
    — Oui, plus que tout au monde. Aujourd’hui encore, je l’aime
aussi ardemment qu’un homme de ton âge peut désirer une femme.
    — S’il te plaît, monsieur le juif, donne-moi l’amour de
la vie, lui dit le Hongre, le visage soudain suppliant. Ne me manque plus que
lui, maintenant, pour que je meure comme il faut et que Stéphanie soit heureuse.
    Salomon le regarda en souriant et rougissant comme si l’autre
lui demandait de chanter encore, puis chercha des mots dans la nuit lointaine, prit
une subite inspiration pour parler mais n’y parvint pas, remua la tête, murmura :
    — C’est difficile à dire.
    — Essaie, Salomon, lui souffla Novelli, à voix
pressante. Essaie encore.
    — Regarde, dit le juif, désignant d’un geste large les
étoiles, les arbres, les rougeoiements fumeux des camps qui montaient du flanc
de la colline, derrière des buissons et des lignes de talus. Regarde !
    Il se leva, hésita un instant, ouvrit soudain les bras, et
renversant en arrière la tête se mit à cogner le sol du talon, à battre des
mains dans le ciel obscur, à hausser les genoux pour des élans mal assurés, à
danser sans grâce autour du feu, à tournoyer avec un entrain sévère, trébuchant
dangereusement aux pieds de ses compagnons, dispersant les braises du pan de
son manteau, mimant des extases énamourées, menant enfin un sabbat si débridé
et grotesque que Novelli enfouit le visage dans ses manches pour s’en amuser
sans bruit et que frère Bernard, ne pouvant retenir ses gloussements, partit d’une
toux d’asthmatique, agrippé à son compère Vitalis. Le Hongre, montrant du doigt
ce grand pantin gesticulant à sa sœur, éclata franchement de rire. Alors
Salomon, découragé, abandonna sa danse, reprit son souffle, se rassit et dit, penaud :
    — Le seul impuissant, le seul inutile, c’est moi, Novelli.
Il aurait fallu que je m’envole et que je plane sur la nuit, que j’embrasse le
front des arbres et le bec des oiseaux, ainsi peut-être l’amour de la vie
aurait touché ce pauvre homme. Par malheur, les plus vrais, les plus
bienfaisants des sentiments ne peuvent vivre que dans un grand silence
solitaire, au plus obscur de nos chairs, de nos sangs, de nos brumes. S’ils
sortent, ils meurent, ou se défont en bouffonneries. Misère, je voudrais que
mon corps soit un puits de lumière pour que vous puissiez voir l’amour que j’ai
aussi beau que je le sens.
    — Vous manquez de simple pratique, lui dit Vitalis. Pour
que la vie descende de la tête aux membres, il faut éteindre la tête. Tous les
saltimbanques savent cela, maître Salomon.
    L’autre haussa les épaules.
    — Tu ne comprends rien, dit-il.
    Le bateleur lui tendit sa gourde de vin, mais il la repoussa,
et se renfrogna.
    — Ne sois pas fâché, juif, dit le Hongre. Nous t’aimons
comme tu es. Bois, tu l’as mérité.
    Il obéit à contrecœur, s’essuya la bouche, et revenant de sa
bouderie :
    — Je regrette que tu ne vives pas, dit-il. Je t’aurais
fait connaître une belle juive, elle t’aurait appris mes danses hébraïques.
    — Moi, je t’aurais donné mes chansons, dit Vitalis. Tu
aurais fait un bon batteur d’estrade.
    Frère Bernard le poussa du coude, remua son cul.
    — Il sait aussi jouer aux deniers, dit-il.
    Il eut un air content d’aimer, anxieux aussi d’avoir parlé
trop fort, d’avoir peut-être dispersé un parfum de miracle naissant.
    — Il fait bon, murmura Novelli. Regardez la lune. On
dirait une fille timide.
    Elle était à demi cachée par une haute branche de pin
parasol. La nuit sembla soudain d’une inépuisable douceur.
    — Bonté divine, soupira le Hongre en contemplant le
ciel.
    Il resta un long moment bouche bée, puis vint sans bruit au
bord du feu mourant, se pencha au-dessus des bûches, prit Salomon par le cou et
lui dit quelque chose à l’oreille que les autres n’entendirent pas. Le juif
sourit, les larmes aux yeux.
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