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La jeune fille à la perle

La jeune fille à la perle

Titel: La jeune fille à la perle
Autoren: Tracy Chevalier
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    Ma mère ne m’avait pas dit
qu’ils allaient venir : elle ne voulait pas que j’aie l’air inquiet,
m’expliqua-t-elle plus tard. Cela m’étonna, moi qui croyais qu’elle me
connaissait bien. Au regard des personnes étrangères, je paraissais calme.
Enfant, je ne pleurais pas. Seule ma mère remarquait la façon dont je
contractais la mâchoire et j’écarquillais des yeux déjà grands.
    J’étais à la cuisine en train
de hacher des légumes quand j’entendis des voix provenant de l’entrée, la voix
d’une femme, aussi étincelante que cuivre bien astiqué, et celle d’un homme,
aussi dense et sombre que le bois de la table sur laquelle je travaillais.
C’était là des voix comme nous n’en entendions pas souvent chez nous. Des voix
rappelant de somptueux tapis, des livres, des perles, des fourrures.
    Heureusement que je m’étais
donné tant de mal pour nettoyer l’entrée !
    La voix de ma mère – une
marmite, une bonbonne – se rapprochait de moi. Ils se rendaient à la cuisine.
Je rangeai les poireaux que j’étais en train de couper, posai le couteau sur la
table, m’essuyai les mains à mon tablier et pinçai mes lèvres pour les lisser.
    Ma mère apparut à l’entrée,
elle me décocha du regard une double mise en garde. La femme derrière elle dut
rentrer la tête à cause de sa taille, elle était plus grande que l’homme qui la
suivait.
    Dans ma famille, tout le monde
était petit, y compris mon père et mon frère.
    Bien que la journée fût calme,
on eût dit que la femme avait été prise dans une bourrasque. De sa coiffe de
guingois s’échappaient de minuscules boucles blondes qui s’agitaient sur son
front telles des abeilles ; elle les chassa plusieurs fois avec
impatience. Son col aurait eu besoin d’être redressé, il n’était pas aussi
raide qu’il aurait pu l’être. Elle repoussa sa cape grise sur ses épaules et je
vis que sous sa robe bleu foncé un bébé s’annonçait. Il arriverait d’ici la fin
de l’année.
    Le visage de la femme rappelait
un plat d’argent ovale, tantôt étincelant, tantôt terne. Ses yeux étaient deux
boutons brun clair, teinte que j’avais rarement vue associée à des cheveux
blonds. Elle faisait mine de m’examiner sans parvenir à concentrer son
attention, son regard voletant par toute la pièce.
    « C’est donc la fille,
dit-elle d’un ton abrupt.
    — C’est Griet, ma
fille », répondit ma mère. Je saluai respectueusement l’homme et la femme.
    « Disons qu’elle n’est pas
bien grande, est-elle assez forte ? » Au moment où la femme se
tournait vers l’homme, un pan de sa cape entraîna le couteau dont je venais de
me servir, il alla tournoyer sur le sol.
    La femme poussa un cri.
    « Catharina », dit
l’homme avec calme. Il prononça son nom comme s’il avait un morceau d’écorce de
cannelle dans la bouche. La femme s’arrêta, faisant effort pour se dominer.
    Je m’approchai, ramassai le
couteau, frottai la lame avant de le poser sur la table. Dans sa chute, le
couteau avait déplacé les légumes, je remis en place un morceau de carotte.
    L’homme m’observait de ses yeux
gris comme la mer. Son visage allongé, anguleux, reflétait la sérénité alors
que celui de son épouse était aussi changeant que chandelle au vent. Il ne
portait ni barbe ni moustache, d’où cette apparence nette que j’appréciai. Une
houppelande noire couvrait ses épaules, sa chemise était blanche et son col de
fine dentelle. Son chapeau était enfoncé sur sa chevelure couleur de brique
défraîchie par les intempéries.
    « Que faisiez-vous là,
Griet ? » demanda-t-il.
    Sa question me surprit, mais je
n’en laissai rien paraître.
    « Je coupais des légumes
pour la soupe, Monsieur. »
    J’avais l’habitude de disposer
les légumes en cercle, par catégorie, comme les parts d’une tarte. Il y avait
cinq parts : choux rouge, oignons, poireaux, carottes et navets. Je
m’étais servie d’une lame de couteau pour délimiter chaque part et j’avais
placé une rondelle de carotte au centre.
    L’homme tapota sur la table.
« Est-ce dans cet ordre qu’ils iront dans la soupe ? me demanda-t-il
en étudiant le cercle.
    — Non, Monsieur. »
J’hésitais, je n’aurais pu expliquer pour quelle raison je les avais arrangés
de la sorte. Je m’étais dit que ça devrait être comme ça, un point c’est tout,
mais j’avais trop peur d’avouer ça à un monsieur.
    « Je vois que
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