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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant
Autoren: Umberto Eco
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couleurs pastel : un ciel écumeux de nues sombres légèrement effrangées de nacre, tandis qu’une nuance, un souvenir de rose, montait derrière l’Île, qui paraissait colorée de turquin sur un papier grenu.
    Mais cette palette presque nordique lui suffisait pour comprendre que ce profil, qui lui avait semblé homogène dans la nuit, était donné par les contours d’une colline boisée qui s’arrêtait en une pente rapide sur une bande côtière couverte d’arbres de hauts fûts, jusqu’aux palmiers qui faisaient couronne à la plage blanche.
    Lentement le sable devenait plus lumineux, et sur ses bords on apercevait de part et d’autre comme de grandes araignées qui s’étaient embaumées en déplaçant leurs membres squelettiques dans l’eau. Roberto les qualifia de loin de « végétaux ambulants », mais à ce moment-là le reflet trop vif du sable le fit se retirer.
    Il découvrit que, là où ses yeux lui faisaient défaut, son ouïe ne pouvait le trahir, et il s’en remit à l’ouïe. Il referma presque complètement le battant et tendit l’oreille aux bruits qui venaient de la terre.
    Quoique habitué aux aubes de sa colline, il comprit que pour la première fois de sa vie il entendait vraiment chanter les oiseaux, et en tout cas il n’en avait jamais autant entendu ni d’aussi variés.
    Par milliers, ils saluaient le lever du soleil : il lui sembla reconnaître, d’entre les cris du perroquet, le rossignol, le merle, la calandre, un nombre infini d’hirondelles, et même le bruit aigu de la cigale et du grillon, se demandant s’il entendait vraiment des animaux de ces espèces ou pas plutôt quelque germain à eux des antipodes… L’Île était loin, il eut pourtant l’impression que ces sons soulevaient à leur suite une senteur de fleurs d’oranger et de basilic, comme si l’air à travers toute la baie était imprégné de parfum – d’ailleurs, monsieur d’Igby lui avait raconté comment, au cours d’un de ses voyages, il avait reconnu la proximité de la terre à une volée d’atomes odorants transportés par les vents…
    Mais, alors que tout en humant il tendait l’oreille à cette multitude invisible, comme si par les créneaux d’un château ou par les meurtrières d’un bastion il regardait une armée qui se disposait en arc vociférant par degrés sur la pente de la colline, la plaine d’en face et le fleuve qui protégeait les murailles, il eut l’impression d’avoir déjà vu ce qu’entendant il imaginait, et devant l’immensité qui mettait le siège il se sentit assiégé et lui vint presque l’instinct de pointer le mousquet. Il était à Casal ; en face de lui se déployait l’armée espagnole avec sa rumeur de charroi, l’entrechoquement des armes, les voix de ténor des Castillans, le vacarme des Napolitains, l’âpre grognement des lansquenets, et, en arrière-plan, quelques sons de trompette qui arrivaient feutrés, et les coups amortis de quelques tirs d’arquebuse, cloc, pof, taa-poum, ainsi que les pétards d’une fête patronale.
    Comme si sa vie s’était passée entre deux sièges, l’un image de l’autre, à la seule différence qu’à présent, à la jonction de ce cercle de deux bons lustres, le fleuve était trop large et circulaire lui aussi, au point de rendre impossible toute sortie, Roberto revécut les jours de Casal.

2.
    De ce qui s’est passé dans le Montferrat
    Roberto laisse fort peu comprendre de ses seize années de vie précédant cet été de l’an 1630. Il cite des épisodes du passé seulement quand ils lui semblent exhiber quelque rapport avec son présent sur la Daphne, et le chroniqueur de sa chronique rétive doit épier entre les plis des propos. À suivre ses manières, il aurait l’air d’un auteur qui, pour différer le dévoilement du meurtrier, ne concède au lecteur que de rares indices. Et je dérobe ainsi des signes, comme un délateur.
    Les Pozzo di San Patrizio étaient une famille de petite noblesse qui possédait le vaste domaine de la Grive aux confins de la province d’Alexandrie (en ces temps-là partie du duché de Milan, et donc territoire espagnol), mais que par géographie politique ou disposition d’esprit on croyait vassale du marquis du Montferrat. Le père – qui parlait en français avec sa femme, en dialecte avec ses paysans et en italien avec les étrangers – s’exprimait avec Roberto de différentes manières selon qu’il lui enseignait un coup d’épée ou
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