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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant
Autoren: Umberto Eco
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cachait sous l’écorce. Tout était si suavement bon que l’impression d’embûche augmenta. Sans doute, se dit-il, il était déjà la proie de l’illusion, il savourait des noix et il était en train de mordre des rongeurs, déjà il en absorbait la quiddité, d’ici peu de temps ses mains se feraient graciles, griffues et crochues, son corps se couvrirait d’une aigreur lanugineuse, son échine se ploierait en arc, et il serait accueilli dans la sinistre apothéose des habitants hirsutes de cette barque d’Achéron.
    Mais, et pour en finir avec la première nuit, un autre avis d’horreur devait surprendre l’explorateur. Comme si l’écroulement des noix de coco avait réveillé des créatures dormantes, il entendit provenir de derrière la paroi qui séparait la dépense du reste du second-pont, sinon un couinement, un piaillement, un pépiement, un grattement de pattes. Il y avait donc bien embûche, des êtres de la nuit tenaient congrès en quelque repaire.
    Roberto se demanda si, mousquet à la main, il devait affronter sur-le-champ cet Armagédon. Son cœur tremblait, il s’accusa de lâcheté, il se dit que cette nuit ou une autre, tôt ou tard il devrait, devant Eux, faire front. Il tergiversa, remonta sur le pont et par chance entrevit l’aube cireuse qui déjà bavait sur le métal des canons jusqu’alors caressé par les reflets de la lune. Le jour se levait, se dit-il avec soulagement, et il était de son devoir d’en fuir la lumière.
    Comme un Revenant de Hongrie, il traversa en courant le tillac pour regagner le gaillard de poupe, entra dans la chambre, la sienne désormais, barricada, ferma les sorties sur la galerie, mit les armes à portée de main, et il s’apprêta à dormir pour ne pas voir le Soleil, bourreau qui de la hache de ses rayons coupe le cou aux ombres.
    Agité, il rêva de son naufrage, et il rêva en homme d’esprit pour lequel même dans les rêves, et surtout dans les rêves, il faut faire en sorte que les propositions embellissent le trait ingénieux, que les reliefs le ravivent, que les mystérieuses connexions le rendent dense, profond les considérations, élevé les emphases, dissimulé les allusions, et les transmutations, subtil.
    J’imagine qu’en ces temps-là, et sur ces mers-là, les vaisseaux qui faisaient naufrage étaient plus nombreux que ceux qui revenaient au port ; mais, pour les naufragés qui en étaient à leur première fois, l’expérience devait être source de cauchemars récurrents que l’habitude à bien concevoir devait rendre pittoresques tel un Jugement dernier.
    Depuis la veille au soir l’air était comme atteint d’un catarrhe et il semblait que l’œil du ciel, gros de larmes, déjà ne parvenait plus à soutenir la vue de l’étendue des ondes. Le pinceau de la nature avait désormais décoloré la ligne de l’horizon et il esquissait des lointains de provinces indistinctes.
    Roberto, dont les entrailles prédisaient le branle imminent, se jette sur la couchette, bercé maintenant par une nourrice de cyclopes, il s’assoupit au milieu de rêves agités qu’il rêve dans le rêve qu’il raconte, et, cosmopée de stupeurs, accueille en son sein. Il se réveille à la bacchanale des tonnerres et aux hurlements des matelots, puis des paquets d’eau envahissent sa couchette, le docteur Byrd apparaît en courant et lui crie de se rendre sur le tillac, et de bien s’agripper à n’importe quoi qui soit un peu plus immobile que lui.
    Sur le tillac, confusion, gémissements et corps comme soulevés par la main divine, précipités à la mer. Un certain temps Roberto s’accroche, jusqu’à ce que la voile se déchire, percée par des éclairs, à l’esparre d’artimon (si je comprends bien) qui, alors, en compagnie de la vergue, s’emploie à rivaliser avec la course courbe des étoiles et Roberto est projeté au pied du grand mât. Là, un matelot de bon cœur, qui s’était attaché au même mât, ne pouvant lui faire place lance une corde et lui crie de s’attacher à une porte du gaillard tirée de ses gonds et projetée jusqu’ici ; ce qui fut bon pour Roberto, c’est que la porte, avec lui comme parasite, se mît ensuite à glisser contre le plat-bord : entre-temps, le mât se brise et une vergue de perroquet tombe et fend en deux la tête de l’ajudant.
    Par une brèche de la muraille Roberto voit, ou rêve avoir vu, des cyclades d’ombres amoncelées d’élicies et autres éjaculations éthérées
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