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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant
Autoren: Umberto Eco
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cadavres, quelque signe qui justifiât cette absence. Il s’était mis en branle avec circonspection, et, d’après les lettres, il est difficile de dire dans quelle direction : il nomme de façon imprécise le vaisseau, ses parties et les objets du bord. Certains lui sont familiers et il les a entendu mentionner par les marins, d’autres, inconnus, et il les décrit pour ce qu’ils lui apparaissent. Mais, et c’est signe que sur l’Amaryllis l’équipage devait être fait de fripons des sept mers, même les objets connus il avait dû les entendre désigner en français par l’un, par l’autre en hollandais, en anglais ou en italien par un autre. Il dit ainsi parfois staffe – comme devait lui avoir appris le docteur Byrd – pour mâtereaux ; on a peine à comprendre comment il se trouvait une fois sur le gaillard d’arrière ou sur la dunette, et une autre sur le château de poupe qui est un italo-anglicisme pour dire la même chose ; il utilise sabordi , et je le lui concède volontiers parce que cela me rappelle les livres de marine qu’on lisait, enfants, en Italie ; il parle de perroquet, qui, pour nous, est une voile de misaine, mais comme pour les Français perruche est l’italienne voile de belvedere qui est sur le mât d’artimon, on ne sait pas à quoi il fait allusion quand il dit se trouver sous la perruquette. Sans dire que parfois il appelle le mât de misaine artimon, mais alors que veut-il bien signifier quand il écrit mizzana , qui, pour les Français, est le mât de misaine (mais, hélas, non point pour les Anglais, pour qui le mizzen mast est l’artimon, comme Dieu le veut) ? Et quand il parle de martinet, c’est probablement aux ourses qu’il se réfère. Tant et si bien que je prends une décision : je chercherai à déchiffrer ses intentions, et puis j’utiliserai les termes qui nous sont les plus familiers. Si je me trompe, que voulez-vous : l’histoire n’en changera pas.

    Cela dit, nous arrêtons que cette deuxième nuit, après avoir trouvé une réserve de nourriture dans la cuisine, Roberto procéda en quelque sorte sous la lune à la traversée du tillac.
    Se rappelant la proue et les flancs bombés, vaguement entrevus la nuit précédente, jugeant d’après le tillac élongé, d’après la forme du gaillard et de la poupe relevée et arrondie, et comparant avec l’Amaryllis , Roberto en conclut que la Daphne aussi était un fluyt hollandais, ou flauto , ou une flûte, ou un fluste , ou flyboat , ou fliebote , appellations diverses de ces navires marchands et de moyen tonnage, généralement armés d’une dizaine de canons, par acquit de conscience en cas d’une attaque de pirates, et qu’avec ces dimensions une douzaine de marins pouvaient gouverner et s’embarquer de nombreux passagers supplémentaires, si on renonçait aux commodités (déjà minces), en entassant des couchettes jusqu’à y achopper, et allez donc, grande mortalité suite aux miasmes de tout genre s’il n’y avait pas assez de seilleaux d’aisances. Une flûte, donc, mais plus spacieuse que l’Amaryllis , avec un tillac réduit presque aux seules écoutilles, comme si le capitaine avait été soucieux d’embarquer de l’eau à chaque grosse lame un peu trop vive.
    En tout cas, que la Daphne soit une flûte est un avantage, Roberto peut s’y déplacer avec une certaine connaissance de la disposition des lieux. Par exemple la grande chaloupe, pouvant contenir l’équipage au complet, aurait dû se trouver au centre du tillac : et qu’elle n’y fut pas laissait croire que l’équipage était ailleurs. Ce qui ne tranquillisait par Roberto : un équipage ne s’éloigne jamais au complet de son navire, l’abandonnant à la merci de la mer, même s’il est à l’ancre, les voiles ferlées dans le calme plat d’une baie.
    Ce soir-là, il s’était aussitôt dirigé sur le fanal de poupe, il avait ouvert la porte du gaillard avec retenue, comme s’il devait demander la permission à quelqu’un… À côté de la barre de gouvernail, le compas de route lui dit que le canal entre les deux terres s’étendait du sud au nord. Puis il s’était retrouvé dans ce que l’on appellerait aujourd’hui le carré, une salle en forme de L, et une autre porte l’avait introduit dans la chambre du capitaine, avec sa large fenêtre au-dessus du gouvernail et les accès latéraux à la galerie. Sur l’Amaryllis la chambre de commandement et celle où dormait le capitaine
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