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L'Ile du jour d'avant

L'Ile du jour d'avant

Titel: L'Ile du jour d'avant
Autoren: Umberto Eco
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qui filent errant à travers les champs onduleux, ce qui me semble céder un peu trop au goût de la citation précieuse. Mais n’importe, l’Amaryllis s’incline du côté du naufragé prêt au naufrage, et Roberto avec sa planche glisse dans un gouffre au-dessus duquel il aperçoit, en descendant, l’Océan qui s’élève pour simuler des précipices, dans la défaillance des cimes il voit surgir des Pyramides chues, il se retrouve aqueuse comète fuyant le long de l’orbite de ce tourbillon de ciels mouillés. Tandis que chaque flot darde ses éclairs avec inconstance, ici s’incurve une vapeur, là un tourbillon bouillonne et ouvre une fontaine. Des fascines de météores affolés font contre-chant à l’air séditieux et coupé de tonnerres, le ciel est une alternance de lumières très lointaines et de ruissellements de ténèbres, et Roberto dit avoir vu des Alpes mousseuses en de glissants sillons dont les écumes se changent en moissons, et Cérès fleurie au milieu de reflets saphirés, et par moments une cascade d’opales rugissantes, comme si sa tellurique fille Proserpine avait pris le commandement, exilant sa mère frugifère.
    Et parmi les fauves qui mugissent errant autour de lui, tandis que rebouillonnent les sels d’argent en un tempétueux tourment, Roberto cesse soudain d’admirer le spectacle dont il devient insensible acteur, perd connaissance et plus rien ne sait de soi. Après seulement il supposera, rêvant, que la planche, par compatissant décret ou par instinct de chose nageante, s’adapte à cette gigue et, comme elle était descendue naturellement remonte et s’apaise en une lente sarabande – vu que dans la colère des éléments se subvertissent aussi les règles de toute urbaine suite de danses, et par de toujours plus vastes périphrases l’éloigne de l’ombilic du manège où cependant s’abîme, toupie muant dans les mains des enfants d’Éole, l’infortunée Amaryllis , beaupré au ciel. Et avec elle toute autre âme vive dans son fond de cale, le Juif errant destiné à trouver dans la Jérusalem céleste la Jérusalem terrestre qu’il n’atteindrait plus jamais, le chevalier de Malte pour toujours séparé de l’île Escondida, le docteur Byrd et ses acolytes et – enfin soustrait par la nature bienveillante aux réconforts de l’art médical – ce pauvre chien infiniment ulcéré, dont je n’ai d’ailleurs pas eu encore occasion de parler parce que Roberto en écrira seulement plus tard.
    Mais en somme, je présume que le rêve et la tempête avaient rendu le sommeil de Roberto assez susceptible pour le limiter à un court laps de temps, auquel devait succéder une veille belliqueuse. En effet, acceptant l’idée que dehors il faisait jour, revigoré par le fait que peu de lumière pénétrait par les grosses vitres opaques du gaillard, et confiant qu’il pourrait descendre dans le second-pont par quelque échelle intérieure, il se donna du cœur, reprit les armes et alla avec téméraire crainte découvrir l’origine de ces sons nocturnes.

    Ou mieux, il n’y va pas tout de suite. Je demande grâce, mais c’est Roberto qui, dans son récit à sa Dame, se contredit, signe qu’il ne raconte pas de point en point ce qui lui est arrivé mais cherche à construire la lettre comme un récit, mieux, comme salmigondis de ce qui pourrait devenir lettre et récit, et il écrit sans décider de ce qu’il choisira, dessine pour ainsi dire les pions de son échiquier sans aussitôt arrêter lesquels déplacer et comment les disposer.
    Dans une lettre, il dit être sorti pour s’aventurer sous le pont. Mais dans une autre il écrit que, la clarté du matin l’ayant tout juste éveillé, il fut frappé par la musique d’un lointain concert. C’étaient des sons qui provenaient sûrement de l’Île. D’abord Roberto eut l’image d’un nuage d’indigènes qui s’entassaient sur de longs canoës pour aborder le navire, et il serra le mousquet, puis le concert lui sembla moins batailleur.
    C’était l’aube, le soleil ne touchait pas encore les vitres : il se rendit dans la galerie, s’avisa de l’odeur de la mer, poussa à peine l’ouvrant et de ses yeux mi-clos tenta de fixer le rivage.
    À bord de l’Amaryllis où, le jour, il ne sortait pas sur le tillac, Roberto avait entendu les passagers parler d’aurores embrasées comme si le soleil était impatient de darder ses rayons sur le monde, alors qu’il voyait à présent sans pleurer des
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