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L'Hôtel Saint-Pol

L'Hôtel Saint-Pol

Titel: L'Hôtel Saint-Pol
Autoren: Michel Zévaco
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disparut ; la malheureuse oie farcie fut réduite au plus piteux état ; le boudin subit des attaques furieuses, quant aux flacons, Bruscaille compta :
    – Ils sont douze et nous sommes trois. Nous devons donc en occire quatre chacun. Deux maintenant, deux au dîner de tantôt.
    – Et que ferons-nous, alors, du vin qu’on nous descendra au dîner ?
    – Oui, fit Brancaillon, monseigneur m’envoie quatre flacons, je ne sais pas pourquoi j’en boirais deux seulement.
    Bruscaille convint qu’il avait mal calculé. Il résulta de là qu’au bout de deux heures, les douze cruchons de grès gisaient inanimés d’un côté, et que les trois buveurs gisaient d’un autre côté, complètement ivres, et pris d’un besoin de sommeil irrésistible.
    – C’est étrange, murmura Bragaille en passant une main sur son front, jamais le vin ne m’a produit un tel effet…
    – Il me semble, disait de son côté Bruscaille, que généralement je ne m’endors pas avant le six ou septième flacon…
    Ils laissèrent retomber leur tête comme assommés, et leurs yeux se fermèrent.
    Quant à Brancaillon, il ronflait déjà depuis quelques minutes. Il s’était endormi sans tant de réflexion, bénissant au fond du cœur le généreux seigneur qui traitait ses prisonniers avec une telle prodigalité de nourriture et de flacons.
    Brancaillon ronflait et rêvait. Ses rêves furent aussi merveilleux que la réalité. Il rêva que pendant son sommeil, il se sentait soulevé et transporté. Où ? Il ne savait. Mais l’impression fut si forte qu’il tenta de s’éveiller. Il renonça à soulever ses paupières lourdes comme du plomb.
    La suite de son rêve le rassura d’ailleurs pleinement sur cet événement. En effet, c’est dans un fameux cabaret de la rue aux Oies qu’on le transportait. Les porteurs l’asseyaient devant une table sur laquelle s’alignaient les victuailles les plus variées. Il criait en riant qu’il n’avait plus faim. Mais on lui répondait qu’il était condamné à dévorer tout ce qu’il y avait sur la table, et afin qu’il n’eût aucune possibilité de s’en aller, on le liait solidement. Brancaillon ne trouvait la condamnation nullement désagréable et, toujours riant, se laissait attacher.
    – Ne serrez pas si fort, que diable, je n’ai pas envie de m’en aller !
    Toute cette vision persista. Du temps, sans doute, s’écoula. Brancaillon, dans son rêve, se remit à avoir quelque appétit.
    – Ma foi, se dit-il, puisque je suis condamné à manger tout cela, si j’attaquais tout de suite ? Cette oie, par exemple, me semble dorée à point. Par tous les diables, elle est farcie de petites saucisses que j’aperçois d’ici dans les cavités profondes. Allons, ma mie, venez ici…
    Il voulut saisir le grand plat dans lequel trônait le volatile.
    Vains efforts. Il ne put faire un geste.
    – Les bélîtres ! grommela Brancaillon, ils m’ont attaché les bras. Comment veulent-ils que j’exécute la sentence ? Il faut pourtant que j’y arrive… J’ai faim !
    Et, cette fois, l’effort fut tel qu’il s’éveilla.
    Pendant quelques minutes, la réalité lui parut être si bien la suite de son rêve qu’il ne put distinguer exactement l’une de l’autre.
    En effet, comme dans son rêve, il était près d’une table qu’éclairait un flambeau à triple branche de cire. Comme dans son rêve, il était solidement ligoté, de façon à ne pouvoir absolument remuer que la tête.
    Seulement, cette salle nue, froide, sinistre, n’évoquait en rien les gaietés d’une salle de cabaret. Cette table de marbre ne supportait aucune victuaille.
    Peu à peu, Brancaillon prit connaissance des réalités terribles qui l’entouraient.
    Alors, ses yeux s’agrandirent démesurément, ses cheveux se hérissèrent, une abondante suée glaça son front, il hésita quelques instants encore, car c’était trop horrible, puis brusquement le souvenir et l’épouvante firent ensemble irruption dans son esprit… Il reconnaissait l’escabeau où il était attaché, il reconnaissait, la table funèbre, il reconnaissait la salle maudite… l’antre du sorcier de la Cité – et un long hurlement s’échappa de ses lèvres convulsées.
    À ce hurlement répondit celui de Bruscaille et de Bragaille qui venaient de s’éveiller à leur tour. Eux aussi reconnaissaient la salle où jadis ils avaient « attendu le mort ».
    Une fois encore, ils étaient les « trois
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