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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste
Autoren: Hervé Gagnon
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protégés.
    Elle me toisa un instant.
    —    À Rossal ? Comment peux-tu être sûr que c’était bien le feu sacré ? demanda-t-elle, le regard inquisiteur.
    —    C’est ce qu’a dit la vieille Ylaire.
    —    Une sage-femme., dit-elle, sceptique.
    —    Et une guérisseuse, aussi. Comme toi.
    Elle serra les dents et émit un grognement contrarié.
    —    Elle était fort savante, en effet. Bon, très bien, alors. Tu viens avec moi.
    —    Mais toi ? m’enquis-je. Ne vas-tu pas attraper la mort ?
    —    Je sais me protéger.
    —    Es-tu absolument certaine que tu seras épargnée ?
    —    Non. Mais chacun sa mission dans la vie. Soigner est la mienne.
    Elle m’arracha son coffre, le posa sur le sol, l’ouvrit et en tira un mouchoir qu’elle noua sur sa nuque. Elle m’en tendit un autre en m’ordonnant de faire de même. Lorsque ce fut fait, je me retournai vers Ugolin.
    —    Tu as entendu dame Pernelle. Reste ici et empêche quiconque d’entrer ou de sortir. Je viendrai te rendre compte tous les soirs au soleil couchant. Si tu manques de quoi que ce soit, je te l’apporterai.
    —    Entendu, répondit le colosse, blanc comme un linge, qui n’avait visiblement aucune envie de nous suivre.
    —    Creuse une fosse pour lui, ajouta Pernelle en désignant le mort de la tête. Elle doit être aussi profonde que possible. Surtout, ne le touche pas avec tes mains. Compris ?
    —    Je ne le toucherais pas pour tout l’or du pape, dame Pernelle. Mais avec quoi dois-je creuser ?
    —    Utilise sa fourche pour ramollir la terre puis enlève-la avec tes mains. Pousse le corps avec ton pied pour le faire rouler dans la fosse et recouvre-le bien. Empile des pierres dessus si tu le peux, pour que les bêtes ne le déterrent pas. Il doit absolument rester là et pourrir tranquille.
    —    Bon. Ce n’est pas comme si j’avais autre chose à faire, je suppose, grommela Ugolin.
    Sans attendre, il empoigna la fourche abandonnée par le mort et se mit à remuer la terre, empilant les roches pour les réutiliser.
    Le laissant à sa tâche, mon amie me rendit son coffre et, sans rien ajouter, nous entrâmes dans le village.
    Si je traînais en moi une part d’enfer, j’étais en passe d’en découvrir une autre, sur Terre, encore plus terrible puisqu’elle frappait des innocents.
    1
    Une toise vaut près de deux mètres.
    2
       Souviens-toi de ton Créateur pendant les jours de ta jeunesse, avant que les jours mauvais arrivent et que les années s’approchent où tu diras : Je n’y prends point de plaisir. Ecclésiaste 12,1.
    3
       Une lieue terrestre vaut 4,5 km.
    4
    Le feu sacré.

Chapitre 2 Mouroir
    La scène qui s’offrait à nous était plus terrible encore que celle  que les croisés avaient créée dans les rues de Béziers. Non pas parce que la mort y était plus présente, mais parce que l’homme n’y était pas en cause. Cette fois, l’horreur émanait de Dieu en personne.
    Les rues étaient loin d’être désertes, comme nous l’avions d’abord cru. Bien au contraire, elles étaient un véritable charnier à ciel ouvert qui ne nous était pas apparu de loin. Çà et là, nous pouvions voir les habitants de Mondenard. Certains étaient allongés par terre, morts et dans des états divers de décomposition. D’autres étaient affalés contre les maisons, l’air hagard, grimaçants et respirant avec difficulté. Les hommes, les femmes, les enfants et les vieillards s’entremêlaient, la maladie n’ayant fait aucune distinction entre ses victimes.
    Au centre du village, j’aperçus une jeune femme, adossée au puits communal. Le bas du visage et le devant de sa robe ensanglantés, la chair flasque et couverte de taches, le regard fixe, elle tenait dans ses bras déjà froids et rigides un nourrisson qui gigotait en pleurnichant faiblement. Pendant un fugitif instant, je fus transporté dans ma propre enfance. Je me tenais dans l’église que j’allais incendier, plusieurs années plus tard. Je revoyais le père Prelou, en train de célébrer la messe. Dans un coin, posée sur une corniche, se trouvait une petite statue de la Vierge Marie, à la peinture écaillée, qui tenait l’Enfant Jésus dans ses bras. Je revis l’air de contentement qui marquait son visage, dont les yeux levés vers le ciel semblaient implorer Dieu le Père d’épargner ce fils auquel elle tenait. Cette femme figée dans la mort avait le même air.
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