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L'Etoffe du Juste

L'Etoffe du Juste

Titel: L'Etoffe du Juste
Autoren: Hervé Gagnon
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révéler sa véritable identité, je lui posai discrètement la main dans le bas du dos et la pinçai pour l’interrompre. À son honneur, elle contrôla son sursaut et, comprenant mon message, se reprit.
    —    . euh, dame Liurada, compléta-t-elle d’une voix un peu plus haut perchée que de coutume. Je suis en route vers Cahors, où mon frère à l’agonie attend le consolamentum. Et voici le sieur Ricard, qui m’accompagne. Le sieur Gustau, qui complète ma suite, est demeuré à l’entrée du village où il enterre un des vôtres, qui est mort sous nos yeux. D’ailleurs, il faudrait faire la même chose ici, et sans tarder.
    L’autre observa Pernelle des pieds à la tête, l’air suspicieux. Celle-ci suivit son regard, qui glissait sur ses vêtements, et saisit la source de sa confusion.
    —    Ne crains rien, je suis une Parfaite. Dans les circonstances, tu comprendras que j’aie jugé plus prudent de ne pas voyager en habit noir, expliqua-t-elle. Les routes ne sont pas sûres et les croisés n’aiment rien mieux que de mettre la main sur l’un d’entre nous pour le faire rôtir au bûcher.
    Le jeune homme parut soulagé. Je vis ses épaules se détendre à mesure que la tension les quittait, et son visage abandonner le masque de courage qu’il y avait maintenu de force. Il se jeta à genoux, la tête inclinée.
    —    Alors, bonne dame, dit-il avec une ferveur mêlée de désespoir, donne-moi ta bénédiction et celle de Dieu, car j’en ai grand besoin.
    —    Tiens-la de Dieu et de moi, répondit calmement mon amie, dont je notai qu’elle évitait de poser ses mains sur la tête du garçon, comme elle l’aurait fait d’habitude.
    Dès que Pernelle prononça ces paroles, la douleur que j’avais presque oubliée me traversa le gosier, fulgurante, me rappelant que j’étais damné et que, tant que je vivrais, toute parole sacrée serait une torture à ma chair. Je fermai les yeux et tentai de dominer la crispation de mon visage. Il me fallut toute ma volonté pour ne pas porter la main à la cicatrice qui m’encerclait le cou. Je ne respirais qu’à grand-peine, m’accrochant au fait que cette prière était de courte durée.
    —    Je le prie de te faire bon chrétien et de te conduire à bonne fin, conclut Pernelle, à mon infini soulagement.
    Dès qu’elle eut achevé son invocation, la douleur commença à se dissiper et je sentis l’air circuler à nouveau dans mon gosier brûlant et écorché. Pendant que je me reprenais, le garçon se releva.
    —    Comment t’appelles-tu, mon garçon ? s’enquit doucement Pernelle.
    —    Estève, bonne dame. Je suis le fils de Vidau, le maire du village, répondit-il, trahissant l’habitude qu’il avait de faire valoir son statut.
    —    Je dois parler à ton père sans tarder.
    —    Il est mort, dit le jeune homme en ravalant un sanglot.
    —    Y a-t-il un Parfait dans ce village ?
    —    Il y en avait un. Jusqu’à hier.
    —    Raconte-moi ce qui s’est passé.
    —    Ne restons pas ici, dit Estève en laissant son regard errer sur les cadavres qui traînaient non loin de là. Nous serons plus. confortables à l’intérieur.
    Il nous entraîna vers la maison d’où il était sorti. Nous le suivîmes et entrâmes. À ma surprise, la demeure était propre et surtout dénuée de cadavres.
    —    C’est la demeure de la vieille Desirada, expliqua-t-il. Elle vivait seule depuis la mort de son mari, voilà quelques années. Elle est morte dans la rue, il y a quelques jours. C’est la seule que j’aie trouvé qui soit. propre.
    D’un geste, il nous invita à nous asseoir à la table.
    —    Vous avez faim ?
    —    Plus tard, répondit Pernelle avec une pointe d’impatience.
    La vue de tous ces cadavres et la présence de croisés m’avaient
    coupé l’appétit. Je refusai aussi son offre d’un geste de la main. Estève prit une cruche d’eau-de-vie et trois gobelets et les y posa avant de s’asseoir à son tour. Il versa une rasade à chacun.
    —    Vous boirez bien quelque chose, alors. Desirada ne dédaignait pas la dive bouteille, expliqua-t-il en forçant un sourire.
    Je pris une gorgée et appréciai la chaleur qui descendit lentement dans mon gosier pour se poser au fond de mon estomac. Je sentis la tension quitter mes nerfs et j’eus l’impression de pouvoir penser un peu plus calmement. Pernelle, elle, posa le gobelet sur la table sans y tremper les
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