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Les turbulences d'une grande famille

Les turbulences d'une grande famille

Titel: Les turbulences d'une grande famille
Autoren: Henri Troyat
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tenir compte de l'opposition paternelle.
    D'ailleurs, depuis quelque temps, Jules Lebaudy, agacé par les tergiversations qui entouraient le sort de Jeanne, se désintéressait de ce méli-mélo, trop féminin à son goût, pour s'occuper davantage de l'éducation de son fils cadet. Comme les résultats scolaires de Max, élève au lycée Condorcet, étaient notoirement insuffisants, il résolut de l'envoyer parfaire ses études à Canterbury. Cette initiative parut à Amicie le présage d'une manœuvre de captation et d'embrigadement. Il était clair, pour elle, que Jules Lebaudy, en cherchant à donner une instruction « internationale » au garçon, voulait le préparer à prendre sa succession dans les affaires de la raffinerie, et peut-être même dans ses agiotages effrénés à la Bourse. Après avoir pourri les aînés, Jacques et Robert, Jules Lebaudy caressait donc l'espoir d'atteler à son char le petit Max, si vulnérable, si sensible, et de l'entraîner ainsi sur la mauvaise pente. Elle avait déjà eu l'occasion d'observer la fascination que son mari exerçait sur l'enfant. A plusieurs reprises, elle avait tenté de faire comprendre à Max, sur le ton de la confidence, que son père avait ruiné sans scrupule des milliers de malheureux épargnants, que lamajorité des gens, dans la profession, le tenait pour un escroc, qu'au seul nom de Lebaudy certains se signaient comme si on eût évoqué devant eux un émissaire du Malin : le gentil Max souriait, baissait la tête et n'en continuait pas moins à croire que « maman » exagérait et que « papa » était « le plus grand homme d'affaires de tous les temps ». Alors que le gamin s'obstinait à encenser son père, Amicie étouffait de rage et ne parlait de son mari qu'en l'affublant du sobriquet injurieux de « Grand Coquinos ».
    Phénomène curieux, depuis que Jules Lebaudy avait expédié son fils en Angleterre, une correspondance libre et affectueuse s'était installée entre eux. D'une lettre à l'autre, le père manifestait sa satisfaction des progrès scolaires de l'enfant et celui-ci lui répondait avec gratitude et tendresse. Ces lettres, dont certaines avaient été interceptées par Amicie, la révoltaient comme les indices d'une sale trahison. Elle ne savait lequel des deux était le plus coupable : le père, à cause de ses tentatives pour séduire le fils malgré la distance, ou le fils, à cause de l'extrême candeur avec laquelle il se laissait emberlificoter par un homme sans foi ni loi. A plusieursreprises, elle écrivit à Max pour le rappeler à l'ordre et lui conseiller d'éviter les effusions sentimentales dans les messages qu'il adressait à Paris. Mais elle devinait que ses admonestations ne servaient à rien et que, derrière son dos, la connivence épistolaire continuait de plus belle.
    La pensée de cette complicité filiale la détermina à hâter le mariage de Jeanne et d'Edmond. Bravant la colère de son mari, elle partit avec les jeunes gens, qu'elle considérait déjà comme d'authentiques fiancés, pour un voyage en Italie. Cette cohabitation au soleil de Rome avait un caractère assez compromettant pour rendre le mariage inéluctable. C'était du reste le but principal de l'opération. En étudiant à loisir l'attitude des tourtereaux, Amicie ne tarda pas à se convaincre qu'ils étaient faits l'un pour l'autre. Même innocence, même crédulité, même aversion pour les requins de la finance qui hantaient les abords de la Bourse. D'ailleurs, les derniers renseignements glanés par Amicie sur la famille Frisch de Fels, issue des de Heffingen, dont l'ascendance comptait de nombreux consuls de Suède et du Danemark, étaient fort honorables. Il manquait àEdmond un titre plus éclatant. Qu'à cela ne tienne ! Amicie usa de son influence auprès des services du Vatican et Edmond Frisch de Fels obtint d'être nommé « comte romain » à l'occasion de son futur mariage avec Mlle Lebaudy, fille du grand raffineur et petite-fille de M. Piou, premier président de la cour de Toulouse 2 .
    En rentrant à Paris, Amicie apprit avec un muet soulagement que son mari relevait à peine d'une petite attaque cérébrale. Sa faiblesse étant extrême, il n'était plus question qu'il s'opposât aux volontés de sa femme. Le règne de Jules Lebaudy était bel et bien terminé. Amicie profita de la situation pour régler à sa guise les dernières formalités avant le mariage. Edmond s'était converti entre-temps au
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