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Les proies de l'officier

Les proies de l'officier

Titel: Les proies de l'officier
Autoren: Armand Cabasson
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« justice » accomplie par soi-même. Il avait l’esprit vide. Rapidement, la peur se mit à remplir ce vide jusqu’à déborder de ses pensées pour envahir tout son être : il était cerné par les Russes. Des Russes avides de faire payer aux Français cette campagne. Des Russes dont l’appétit de massacre s’annonçait insatiable. Les boyaux retournés par l’angoisse et les réflexes aiguisés par l’instinct de survie, il rejoignit Saber. Son ami avait rassemblé une trentaine de soldats d’élite, grenadiers, voltigeurs ou hommes déterminés. Ces Français se croyaient perdus et s’apprêtaient à charger avec frénésie. Ils voulaient tuer. Tuer par haine, tuer par désespoir, tuer pour ne pas songer à leur propre mort. Tuer, tuer, tuer et, à la fin, hélas, mourir.
    — Par là ! Nous allons tenter une percée ! s’exclama Saber en indiquant la gauche de son sabre.
    — Mais, monsieur l’officier, il faut essayer de regagner nos lignes..., protesta un adjudant.
    — C’est évident pour tout le monde, alors les Russes ont placé une compagnie de grenadiers entre nos troupes et nous. Mais là, regardez : on aperçoit des miliciens.
    Sur la gauche, derrière les soldats réguliers, se pressaient, en effet, des combattants aux manteaux gris ou marron. Certains portaient une toque à la place de la casquette de leur régiment et, n’ayant même pas reçu de fusil, brandissaient des piques. Saber lança son attaque. Les Russes ne s’attendaient pas à ce qu’elle survienne à ce niveau et furent pris au dépourvu. Le groupe de Saber extermina prestement à coups de crosse et de baïonnette les mousquetiers en première ligne. Parvenus face aux miliciens, bien plus nombreux qu’eux, ils épaulèrent et lâchèrent la volée qu’ils avaient économisée jusque-là. Saber, compte tenu de la situation, avait donné la plus cruelle de toutes les consignes qu’il ait jamais formulées : « Visez les visages. » Lorsque les miliciens, civils entraînés à la va-vite, mal équipés et sans expérience, virent les faces de leurs camarades éclater et devenir d’abominables plaies sanguinolentes, ils jetèrent leurs armes à terre et s’enfuirent en hurlant. Alors, les Français s’élancèrent en criant dans la percée. Le cercle se vida de ses défenseurs comme un abcès qu’on crève. Au pas de course, les rescapés regagnèrent leurs lignes sous une fusillade épouvantable, couverts par Lefine, Fanselin et Piquebois qui avaient fait s’avancer de quelques pas une ligne de volontaires. Une centaine de soldats réchappèrent ainsi de cet assaut absurde. Saber fut porté en triomphe.
    — Belle action que celle de votre ami, j’en référerai à qui de droit, entendit dire Margont dans son dos.
    Il se retourna et se retrouva face au colonel Barguelot.
    — Puis-je savoir ce que vous faites ici, mon colonel ? Votre régiment n’a-t-il pas pris la route de Wilna ?
    — C’est exact. Donc il n’a pas besoin de moi pour l’instant. Je le rejoindrai facilement, car l’une de mes montures a survécu. C’est ici que les choses se passent, donc j’y suis.
    Sur ce, le colonel Barguelot s’éloigna pour distribuer ses ordres, alors que les balles percutaient les troncs autour de lui et projetaient des copeaux sur son manteau. Il ralliait des fuyards ou indiquait à des sapeurs une position à renforcer. Il n’avait pas supporté que l’on ait percé à jour sa lâcheté. Pour lui, voir son image souillée était insoutenable. Pour la sauver, il se sentait prêt à tout, même à mourir. Quelques-uns de ses soldats, restés pour l’escorter, se disaient : « Et nous qui pensions que notre colonel était un lâche, voilà qu’il s’expose à l’un des points les plus chauds alors qu’il n’a rien à y faire ! » Barguelot rayonnait. Son propre courage l’étonnait, l’effrayait même. Mais il se nourrissait de l’admiration qu’il lisait dans les regards. Il continuait donc à accomplir d’immenses efforts sur lui-même pour afficher une bonhomie confiante. Il avait décidé de rester là en voyant que Margont ne partait pas. Il avait cru que ce capitaine voulait se battre et il n’avait pas supporté que cet homme puisse acquérir une réputation supérieure à la sienne. Et puis, il voulait prévenir les rumeurs sur sa conduite durant la campagne. Par conséquent, il avait saisi la dernière chance de sauver son nom dont il jugeait l’éclat incomparable. Il
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