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Les masques de Saint-Marc

Les masques de Saint-Marc

Titel: Les masques de Saint-Marc
Autoren: Nicolas Remin
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étape : il trahit le groupe en semant derrière lui des traces destinées à la garde civile. Troisième étape : il me tire dessus depuis une lucarne du palais royal.
    L’empereur ferma à nouveau les paupières qui, cette fois, restèrent closes un peu plus longtemps. Quand il les rouvrit, il dirigea son regard vers le colonel Hölzl.
    — Et ces cartouches à blanc ? On ne peut pas les confondre avec des vraies ?
    Le jeune officier se permit un sourire de spécialiste.
    — Il n’y a aucun risque, Majesté. C’est moi-même qui vais remettre le fusil et les munitions nécessaires à notre homme de confiance.

2
    Le train, seize voitures vertes suivies de deux wagons de marchandises sans fenêtres, quitta la gare de Vérone à huit heures du soir, comme le voulait l’horaire. Seuls un petit groupe d’officiers autrichiens et une douzaine de civils étaient montés dans les compartiments chauffés, heureux d’échapper à l’humidité glaciale du quai.
    Grâce aux instructions extrêmement précises du colonel Hölzl, il n’avait eu aucun mal à reconnaître l’individu et s’était installé en face de lui. Comme il s’agissait d’une voiture de première classe, une lithographie de l’empereur était accrochée entre deux lampes à pétrole au-dessus du siège en velours vert. Quel que soit l’angle sous lequel il considérait l’affaire, ce détail lui paraissait lourd de sens.
    Les compartiments attenants étaient restés vides. Au fond, cela n’avait aucune espèce d’importance. Il s’était préparé à exécuter son travail sans bruit. Bien sûr, l’opération aurait pu se compliquer si, malgré l’absence de réservation, un gradé avait insisté pour s’asseoir dans le même compartiment qu’eux. Mais comme le train ne s’arrêtait qu’une seule fois, en gare de Vicence, et que cela ne s’était pas produit, il s’était détendu et somnolait à présent dans le fauteuil rembourré.
    L’homme en face de lui, avec qui il n’avait pas échangé plus de deux ou trois paroles anodines, avait un visage banal, rasé de près et grassouillet. De temps à autre, il se servait du binocle accroché à un bouton de sa redingote pour feuilleter le Giornale di Verona . Le crêpe noir passé autour de son bras gauche ainsi que les commissures de ses lèvres tombantes laissaient supposer un récent décès dans sa famille. La pâleur cadavérique de son teint qui prenait des reflets verdâtres dans la lumière des lampes à pétrole convenait à merveille à ces circonstances.
    Il devait avoir entre trente et quarante ans et n’était sans doute même pas officier de réserve, mais simple civil en piètre condition physique. Des hommes aux doigts roses et boudinés n’étaient pas des adversaires dangereux. Il ne lui faudrait donc pas longtemps pour en venir à bout, d’autant que le gaillard n’avait aucune idée de ce qui l’attendait. Une petite balle bien ciblée entre les deux yeux – c’était l’affaire de quelques secondes –, et la première partie de l’opération serait réglée. Quelques jours plus tôt, il avait chronométré une dernière fois le trajet et constaté que le train mettait huit minutes à traverser le nord de la lagune. C’était bien assez pour tuer l’inconnu et se débarrasser de son cadavre, même s’il devait rencontrer une résistance improbable.
    La pluie s’était mise à tomber après Padoue et s’était transformée en un véritable déluge à l’approche de Fusina, là où commence le pont ferroviaire au-dessus de la lagune. De grosses gouttes frappaient la fenêtre, formant de larges traînées sur le verre avant de poursuivre leur chute. Si le temps avait été plus clément, il aurait baissé la vitre pour jeter un coup d’œil sur les scintillements à la surface de l’eau et respirer à pleins poumons les effluves salins. Mais aujourd’hui, il devait hélas y renoncer. Il ne voyait rien d’autre que le reflet de l’homme en train de gaspiller les dernières minutes de sa vie à la lecture du Giornale di Verona , un quotidien d’un ennui mortel.
    Il ramassa la mallette posée sur le siège à côté de lui, en défit les lanières en cuir et y plongea la main droite. Comme toujours, la poignée de son arme, en ébène lisse, lui procura un plaisir extrême, presque plus intense que la peau d’une femme. Le train avait ralenti et s’était engagé sur le pont. Il n’y avait aucune raison d’attendre plus longtemps. Il sortit
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