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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande
Autoren: Edouard Brasey
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fallait mettre son nez dans la crasse des autres, mais qui lui permettait de gagner son ordinaire. De toute façon, les femmes n’avaient guère le choix en ces temps de misère. Travailler dans les champs, aider à la ferme, garder les vaches et les cochons, glaner dans la forêt : rien qui ne soit usant, éreintant, voire sale et puant. Le linge, au moins, sentait bon lorsqu’il sortait du lavoir. Gwenn préférait cela aux fanges de la soue ou aux fosses à purin. Elle travaillait dur, mais restait propre et fière.
    Fière, surtout. Elle ne voulait rien devoir à personne.
    Elle déposa le coussin dans la boîte à laver, ôta ses sabots et se mit à genoux. Elle renfila d’un geste précis une mèche rousse sous sa coiffe, empoigna un paquet de draps rêches comme des grattoirs et le plongea dans l’onde verte.
    L’heure bleue était passée. Des vapeurs roses montaient des collines et les premiers chants d’oiseaux retentirent dans l’aube claire. Un ragondin effrayé détala et s’enfuit dans l’herbe. Soudain, un corbeau vint s’abattre sur la margelle du lavoir en croassant. Il replia ses ailes, plongea son bec dans l’eau puis releva la tête et regarda Gwenn en inclinant sa tête sur la gauche. La jeune femme ne put s’empêcher de frissonner. Elle aimait et respectait sans distinction tous les animaux, mais certains d’entre eux, par leur apparition inattendue, pouvaient être porteurs d’intersignes, de messages funestes destinés aux humains. Et les corbeaux, à cause de leur plumage noir et de leur voix enrouée de crécelle, étaientgénéralement annonciateurs de mauvais présages. Des présages de mort.
    Un couinement de roue de brouette mal huilée fit s’envoler le volatile. Gwenn leva la tête, mais elle savait déjà qui approchait. La doyenne des lavandières, la vieille Maëlle Le Borgne, que tout le monde surnommait Dahud, en souvenir de la sorcière qui, selon la légende, avait causé l’inondation de la cité d’Is après avoir fait allégeance au diable. Ce sobriquet lui allait bien, et elle était la première à le revendiquer. Il lui conférait une aura maléficieuse qui inspirait la crainte et une forme de respect.
    Vieille, elle ne l’était que d’apparence, car elle n’était âgée que de quarante-quatre ans. Mais sa peau brune, craquelée de rides comme une tourbière asséchée, ses mains gonflées d’engelures, ses cheveux en halliers, jadis noirs comme ailes de corneille, désormais grisâtres comme brumes, ses dents gâtées, ses yeux rougis par les veilles, jusqu’à son dos voûté et sa démarche chaloupée, doublaient les années dont le temps l’avait gratifiée.
    Pour autant, Dahud ne ressemblait en rien à une pauvresse et se vêtait toujours avec soin. Casaquin noir sur chemise en dentelle, jupes de velours par-dessus une avalanche de jupons, devantière 1 brodée, bas de coton, socques de bois impeccablement cirées lorsqu’elle se rendait au lavoir, souliers vernis le reste du temps. On se moquait dans son dos de ces coquetteries qui ne faisaient qu’accentuer sa laideur, mais qui pourtant lui conféraient, malgré ses airs perdus, une allure de dame.
    Certains disaient que c’étaient les malheurs qui avaient ruiné la beauté et la jeunesse de Dahud – elle avait été belle, jadis, aux dires des anciens et, chose plus étonnante encore,elle avait été jeune ; d’autres alléguaient que la méchanceté dont elle était pétrie avait brouillé son teint et empoisonné son esprit ; d’autres encore que c’était Satan goz , avec qui elle avait selon eux pactisé, qui lui avait conféré cette tournure de sorcière. Il lui avait également fait don de richesses, car on la disait couverte d’or et d’argent mais trop avare pour en faire étalage et les dépenser. Et si elle venait chaque matin au lavoir, ce n’était pas pour gagner sa vie, mais pour y répandre le venin de ses ragots. Elle se payait en médisances.
    – Toujours la première au doué , hein, ma fille ? éructa-t-elle en lançant un regard chafouin à Gwenn. Les mains dans l’eau dès potron-jaquet, avant le premier chant de l’alouette. Prends garde à toi, un de ces jours, à la haute heure 2 , tu finiras par croiser les lavandières de la nuit !
    – J’aurai ainsi le plaisir de vous saluer, Dahud ! répliqua Gwenn d’un ton provocateur.
    Elle était la seule, au village, à ne pas se laisser impressionner par les imprécations de la lavandière et à
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