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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande
Autoren: Edouard Brasey
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lui tenir tête. Loin de s’en offusquer, Dahud semblait prendre plaisir à cette résistance et en jouait, comme un chat joue avec un autre chat en faisant mine de montrer les griffes.
    – Tu as tort de rire, ma fille, reprit Dahud en fixant Gwenn de ses yeux noirs. Il ne fait pas bon approcher du lavoir passé la minuit et avant le lever du jour. La nuit est le domaine des spectres et des dames blanches, des filandières de mort et des lavandières de sang… Et ce soir est veille de Samain et troisième nuit de lune noire. Les lavandières fantômes vont s’en donner à cœur joie…
    Gwenn eut un pâle sourire. Elle connaissait, bien sûr, les sombres légendes attachées à la vie du lavoir pour les avoirsouvent entendues de la bouche des anciens dont elle aimait à écouter les souvenirs et les vieilles croyances. Les lavandières de la nuit, racontaient-ils avec de l’effroi dans les yeux, étaient les fantômes de mères infanticides ou avortées qui revenaient après leur trépas pour laver les langes de leurs enfants mort-nés. Ces langes étaient gorgés du sang des innocents sacrifiés, mais elles avaient beau les plonger dans l’eau noire où se reflétait la lune lorsqu’elle était en son plein, les tordre de leurs mains squelettiques et les frapper de leurs battoirs, les linges demeuraient rougis du sang des petites victimes. Les laveuses revenaient pourtant chaque mois pour s’acquitter de leur pénitence, et reviendraient ainsi jusqu’au Jugement dernier.
    Parfois, un passant égaré entendait le chant des lavandières de sang :
    Tords la guenille
    Tords le suaire
    Des épouses des morts.
    Tords, tords toujours.
    L’ossuaire
    A mis de la poussière
    À nos robes de deuil.
    Tords la guenille
    Tords le suaire.
    La fontaine est claire
    Et se mouille de sang.
    Tords, tords la guenille.
    Si tu ne tords plus vite,
    Nous te tordrons le cou.
    S’il commettait l’imprudence de s’approcher des sorcières pour répondre à leur invite, elles lui flanquaient leur linge mouillé dans les bras pour qu’il les aide à l’essorer. Mais lorsqu’il le tordait dans un sens, elles le tordaient dansl’autre, jusqu’à ce que le malheureux se retrouve les bras cassés et le cou brisé avant de périr noyé au fond du lavoir.
    Telles étaient les croyances ancrées dans la mémoire du village, et personne ne se serait permis de mettre en cause leur authenticité. Cela n’empêchait pas les jeunesses de s’en aller roucouler à la nuit tombée près du lavoir recouvert d’ombres noires. Mais ces rencontres amoureuses ne dépassaient jamais les douze coups de minuit. Même ceux qui ne croyaient pas aux lavandières de sang en avaient secrètement peur.
    Dahud s’installa à la tête du lavoir. C’était là sa place, que nulle autre n’aurait osé lui disputer. La place d’honneur. Tout en louchant du côté de Gwenn, qui affectait d’ignorer sa présence, la vieille noiraude prit le temps de disposer son carrosse en pur bois de merisier. Puis elle dressa à côté d’elle une corbeille remplie de chemises en fines dentelles, de jupons à volants, de jabots, collerettes, coiffes et caleçons si blancs qu’ils semblaient déjà propres.
    Ceux à qui appartenaient ces dessous intimes ne lésinaient ni sur les parures, ni sur les moyens de les conserver impeccables. Ce n’étaient pas là torchons et guenilles de paysans, mais lingerie de riches. Dahud allait quérir ces falbalas au château de Ker-Gaël, où vivaient les Montfort, dont elle était la lavandière attitrée. C’était un spectacle étrange et déconcertant de voir les doigts tordus de la sorcière de Concoret tripatouiller ce beau linge frais qu’on eût davantage imaginé entre les mains blanches d’une jeune fille.
    La noiraude avait passé un accord depuis bien longtemps avec les seigneurs de Montfort, à qui appartenait la majeure partie de la forêt de Brocéliande. Cela achevait de lui conférer un prestige suscitant les jalousies. Les commères de Concoret laissaient entendre que le privilège dont bénéficiait Dahud s’était payé en son temps de quelque prix scandaleuxdont elles ne précisaient pas la nature, mais qu’on imaginait peu recommandable. On supputait que la fortune de Dahud, qui paraissait d’autant plus importante qu’elle demeurait cachée, n’avait pas été acquise uniquement par le travail. La lavandière se moquait bien de ces ragots ; elle en distillait bien d’autres en retour, et avec les
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