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Les Lavandières de Brocéliande

Les Lavandières de Brocéliande

Titel: Les Lavandières de Brocéliande
Autoren: Edouard Brasey
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l’eau pure et fraîche de la rivière était retenue avant de s’évacuer par des vannes dans un ruisseau. Une dizaine de lavandières pouvaient tenir à leur aise sur son pourtour. Le lavoir était à ciel ouvert, ce qui le rendait moins commoded’usage lorsqu’il faisait gros temps, mais la pluie en Bretagne n’est pas cette malédiction que voient en elle les contrées latines. On s’y fait. On ne la redoute pas. On finit par l’aimer, même, et elle devient vite aussi indispensable que l’air que l’on respire.
    Gwenn rangea sur le côté sa brouette remplie de linge déjà trié – les couleurs d’un côté, le blanc de l’autre – et commença à disposer son nécessaire sur la margelle de pierre située à fleur d’eau : la boîte à laver, la brosse de chiendent, le battoir et le pain de savon de Marseille qu’on ne trouvait, depuis le début de la guerre, que chez le boulanger de Mauron.
    La boîte à laver, surnommée aussi « carrosse », était une sorte de cageot en bois que les lavandières commandaient au menuisier du village. Elles y déposaient un coussin et se plaçaient à genoux à l’intérieur, près du bassin, se penchant par-dessus le rebord pour plonger leur linge dans l’eau, le lessiver, le brosser, le battre et le rincer. Cette boîte était comme un petit refuge qui leur permettait de se préserver des éclaboussures d’eau et de savon. Et puis, même si elles se mouillaient les mains jusqu’aux avant-bras, leurs pieds, au moins, étaient au sec.
    Avant de s’installer, Gwenn prit le temps de humer les senteurs alentour. Elle savait lire dans le ciel le temps qu’il allait faire, tout comme elle savait trouver son chemin dans la forêt, distinguer les champignons comestibles des mauvais et reconnaître les oiseaux à leur chant. Avant d’être fille des hommes, elle était fille de la nature.
    C’était l’automne, la saison où s’amorcent le repli et le déclin avant le grand sommeil de l’hiver. La terre exhalait des fragrances d’humus, de mousse et de feuilles mortes. Certains trouvaient cela triste, mais pas Gwenn. Elle aimait cette époque où, après la plénitude de l’été, la vie prend sesdistances, mûrit ses expériences comme mûrissent les vignes, plonge peu à peu dans l’ombre et les mystères.
    On était au dernier jour d’octobre, veille de l’ancienne fête celtique de Samain, célébrée le 1 er  novembre et marquant le début de la saison sombre. Samain était l’ancien dieu des morts. La nuit prochaine, il ouvrirait les portes séparant le séjour des défunts de celui des vivants. On disait que la nuit de Samain était celle des sortilèges, des apparitions fantomatiques et menaçantes et du passage de l’Ankou, le valet squelettique de la Mort, conduisant sa charrette aux roues de fer sur les chemins empierrés en arborant sa faux. De son index osseux, il désignait les trépassés de l’année. En terre de Bretagne, aucune personne sensée n’aurait osé sortir au cours de cette nuit dangereuse entre toutes , de crainte de se trouver confrontée aux spectres et aux anaon , les âmes des morts qui erraient lamentablement sur les lieux où elles avaient vécu. Pour conjurer les terreurs ancestrales alimentées par cette nuit tant redoutée, Samain avait été remplacée par la Toussaint chrétienne, mais rien n’avait changé au fond. La peur de la mort demeurait intacte.
    Gwenn, pour autant, n’était ni mélancolique ni hantée par l’idée de la mort. Elle était une belle jeune femme âgée de vingt-quatre ans, pétulante et vive, que les épreuves, la pauvreté et les restrictions n’avaient rendue ni désespérée ni amère. Orpheline de naissance, elle n’avait jamais goûté à la sécurité d’un foyer uni, n’avait jamais senti sur ses joues les baisers d’une mère, les caresses d’un père. Son enfance solitaire lui avait laissé en partage un fond de sauvagerie qui la tenait à l’écart du monde. C’est pourquoi elle aimait les automnes, les aubes et les crépuscules, et venait au lavoir à la belle heure, avant l’arrivée des autres lavandières.
    La jeune femme mit fin à sa courte méditation et commença à déballer son linge. En réalité, ce n’était pas « son » linge, mais celui qu’elle allait quérir à grandes brouettées dans les demeures aisées. On la payait quelques sous pour sa peine. C’était là son métier, lavandière. Un métier fatigant, un peu humiliant aussi, car il
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