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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus
Autoren: Robert Margerit
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hormis Thibaudeau, bien décidé à ne jamais rentrer en France sous les Bourbons –, la grande question résidait dans les dispositions de la cour et du ministère à leur égard. Bernard pouvait y répondre ; il voyait presque quotidiennement Louis XVIII, qui l’estimait fort. Sitôt Paris libéré des troupes étrangères, il l’avait replacé au gouvernement de la 1 re  division. Sa conduite pendant les Cent-Jours, son intervention pour l’immédiat rétablissement de la monarchie légitime, après Waterloo, lui valaient la faveur même du comte d’Artois et de la duchesse d’Angoulême.
    Aux proscrits avides de s’informer, il répéta ce qu’il avait dit dès l’abord à Claude et à Gay-Vernon : « On voit avec satisfaction la manière dont vous vivez ici, on en prend bonne idée de votre sagesse, cela servira ; mais on ne veut pas encore entendre plaider votre cause. Tant que la réaction dominera, il n’existera aucun espoir de retour. Votre éloignement, néanmoins, ne me semble pas devoir se prolonger longtemps. Richelieu est homme de bon sens, les émigrés l’excèdent avec leurs exigences et leurs rancunes. Quant à Decazes, à la place de Fouché, il pratique exactement sa politique. Sous peu, j’en suis sûr, il obtiendra le renvoi de la Chambre, dont les outrances irritent le roi. Louis XVIII n’entend point laisser les ultras poursuivre leurs agitations et empêcher ainsi la France de reprendre un équilibre si nécessaire à son relèvement. Il veut l’apaisement des esprits et la libération rapide du territoire. Je crois Sa Majesté, Decazes et Richelieu parfaitement capables d’atteindre ces buts.
    — Peut-être, monsieur le maréchal, répliqua le vieux Sieyès. Je le souhaite ardemment pour notre patrie, cependant je crains bien qu’un changement de Chambre ne suffise pas à provoquer notre rappel. »
    En effet, la « Chambre introuvable » fut dissoute en septembre ; les électeurs expédièrent au palais Bourbon une majorité modérée ; mais l’hiver, le printemps de 1817 s’écoulèrent sans modifier en rien la situation des exilés. Depuis plusieurs mois, Cambacérès faisait solliciter, à Paris, le gouvernement. Pendant l’été, il se sépara de son fidèle Lavollée pour l’envoyer activer les intercesseurs.
    L’ex-archichancelier s’ennuyait à Bruxelles où les seules distractions étaient la promenade dans l’Allée verte, au parc royal, les réunions du dimanche chez Ramel, dans sa belle campagne de Laeken, quelques parlotes au café des Mille Colonnes avec des libéraux bruxellois. La haute société, tout orangiste, tenait à l’écart les hommes de la Révolution et de l’Empire. Entre eux-mêmes, existaient des ostracismes. Les ci-devant « Soixante-Treize » répugnaient à frayer avec les ci-devant « terroristes ». Les purs révolutionnaires, ex-hébertistes ou babouvistes, couvaient des rancunes contre les brumairiens et les « valets impériaux ». Les vieilles divisions subsistaient entre Girondins, Dantonistes, Robespierristes, Thermidoriens. Sieyès, Thibaudeau, Cambacérès souffraient mal Vadier, Choudieu ; et Sieyès se gaussait de Cambacérès, ridiculement solennel dans ses propos comme dans ses habits brodés. Claude et David se voyaient très froidement ; Claude n’oubliait pas les forfanteries et les couardises de David en germinal et thermidor an II, ni son idolâtrie éperdue pour Bonaparte ; et David savait que Claude se souvenait. Les anciens membres du Comité de Salut public ne pardonnaient pas aux anciens membres du Comité de Sûreté générale de les avoir contraints à traduire Danton devant le Tribunal révolutionnaire, l’accentuation de la Terreur, la « Messe rouge », le flot de sang versé pour y noyer Robespierre. Il fallait toute la bonté, tout le tact, toute la souriante et adroite courtoisie de Ramel, pour apaiser les passions, faire régner un semblant d’entente dans ces réunions du dimanche. Mais, quoique ne s’aimant pas, pour la plupart, les uns les autres, une fraternité renforcée par leur sort commun unissait les proscrits. Les riches, comme Cambacérès, Ramel, Claude, Merlin de Douai (Roger Ducos, riche lui aussi, était mort dans un accident de voiture), les aisés comme Sieyès, David, Chazal, Thibaudeau, Cambon, avaient senti le besoin d’aider ceux qui, nombreux parmi eux, se trouvaient presque sans ressources. Une caisse de secours fonctionnait sous la présidence
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