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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers
Autoren: Jean-Pierre Charland
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d’affaire dans les rues et les commerces de l’immense ville.
    Leur arrivée donna un air de fête à la boutique ALFRED
    jusqu’{ l’heure de fermeture. Les derniers clients étaient des hommes soudainement torturés par la culpabilité. Leurs fautes ne trouvaient leur multiples rédemptions que grâce
    { une seule action : l’achat de manchons, de gants ou d’une parure { la dernière minute, { l’intention d’une épouse, d’une fille ou d’une amie.
    Un peu avant sept heures, tout le monde monta { l’étage pour revêtir de beaux atours. Mathieu avait déserté les lieux depuis une bonne heure afin de passer par la maison de chambres. Peu après, il sautait dans un tramway bondé afin de se rendre dans la Basse-Ville et se planter à la sortie du magasin PICARD. Des centaines de personnes sortaient en même temps, jouaient des coudes pour se frayer un chemin dans la porte un peu étroite.
    Parmi les dernières, il reconnut sans mal Flavie. De nouveau, elle avait fait main basse sur l’une des plus jolies robes du rayon des vêtements pour femme. Mathieu l’aperçut alors que la jeune femme boutonnait son paletot de drap.
    — Dommage que tu me caches si vite ce joli chiffon, déclara l’homme en lui prenant le coude.
    Il fit mine de se pencher pour l’embrasser. Elle lui glissa
    { l’oreille :
    — Pas ici.
    Après les clients, les employés du magasin sortaient. Elle ne voulait pas leur donner l’occasion de l’interroger longuement sur ses relations avec ce grand jeune homme, en retournant au travail, le 2 janvier.
    — Alors tu diras que je suis ton cousin.
    Elle ne badinait pas avec sa réputation. Heureusement, elle se montrait plus accueillante dans la pénombre, sous le porche de sa maison de chambres, ou alors sous les arbres, dans un parc.
    Elle lui abandonna cependant son bras, lui adressa son meilleur sourire.
    — Es-tu prête à affronter mon étrange famille une fois de plus ?
    — Encore au Château Frontenac ! Je me suis demandé si je n’aimerais pas mieux me casser une jambe, { la place.
    Son compagnon chercha une trace d’humour sur son visage, ne la trouva pas. Le froid polaire devait figer ses traits, pensa-t-il pour se rassurer.
    — Mais comme tu as la gentillesse de m’accompagner demain dans ma famille plus étrange encore, reprit-elle, je ne me déroberai pas.
    Il lui serra le bras pour la rassurer. Si la jeune secrétaire se trouvait bien intimidée d’être une nouvelle fois plongée dans ce milieu bourgeois, elle l’était plus encore d’amener cet étudiant en droit dans sa famille ouvrière. Elle ne comprenait pas encore combien son séjour dans les tranchées, à partager le meilleur et le pire de la condition humaine, le rendait un peu indifférent aux préjugés habituels.
    Machinalement, tous les deux s’étaient dirigés vers la rue de la Couronne.
    — Allons-nous prendre le tramway? demanda Flavie.
    — Non, un taxi. D’abord, je ne veux pas t’imposer la grande affluence de ce soir. Puis, si nous voulons arriver à temps. .
    — Nous pouvons bien être un peu en retard, si tu veux mon avis.
    — Nous le serons un peu, mais je ne voudrais pas que nous le soyons trop.
    Le constat lui tira son premier véritable sourire. Ils montaient dans une voiture un instant plus tard. En station-nant devant le grand hôtel, le chauffeur se tourna à demi, la main tendue pour recevoir son dû, et dit :
    — Il faut en avoir de collé, pour célébrer la fin de l’année dans un endroit pareil.
    — Voulez-vous changer de place avec moi ? répondit la jeune femme, moqueuse.
    L’homme toisa Mathieu un moment, puis répondit :
    — Merci, sans façon. Il n’est pas mon genre.
    Tout de même, sa première remarque lui valut un généreux pourboire et des souhaits de « Bonne année » amusés.

    La grande salle à manger se trouvait sur leur gauche. Les murs, déj{ décorés de motifs de plâtre et d’arabesques dorées se couvraient de rubans écarlates et de bouquets de conifères. Des banderoles portant des vœux de fin d’année formulés en anglais s’ajoutaient { cette avalanche criarde.
    Autour de grandes tables, des groupes nombreux entendaient dire adieu { l’année 1919. Au fond de la scène, des chiffres de six pieds de haut introduisaient 1920.
    — Je me demande où ils se trouvent, s’interrogea Flavie.
    — C’est facile : la seule table où tout le monde a un air d’enterrement.
    Mathieu se trompait à peine. Dans un coin de la pièce,
    {
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