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Les héritiers

Les héritiers

Titel: Les héritiers
Autoren: Jean-Pierre Charland
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Désolé de t’avoir réveillée. Ne reste pas toute la nuit
    { m’attendre. . Et ne verrouille pas derrière moi, je ne souhaite pas alerter tout le monde à mon retour.
    Sur ces mots, le jeune homme tira le verrou, gagna l’escalier métallique un peu raide. Dans l’obscurité, il s’accrocha { la rampe et chercha les marches du bout du pied. Au moment de déboucher dans la rue Couillard, il regretta de nouveau l’absence de lampadaires dans la petite artère. Si les mauvaises rencontres demeuraient peu probables, le pavé inégal cachait de nombreux pièges.
    Une fois passé la rue Saint-Jean, il atteignit l’escalier donnant accès à la Basse-Ville. Quelques noctambules, sans doute hantés aussi par de mauvais souvenirs, se trouvaient sur son chemin. A cette heure de la nuit, les règles habituelles de la
    politesse
    ne
    tenaient
    plus
    :
    aucun
    salut
    ne
    s’échangea avec eux.
    Malgré la prohibition, les débits de boisson ne manquaient pas. La difficulté demeurait de les trouver. Guidé par un murmure de voix avinées audible depuis la rue Saint-Vallier, Mathieu s’engagea sous une porte cochère. Il découvrit un grand hangar dans la cour arrière. Dix ou quinze ans plus tôt, des écuries se dressaient l{. L’édifice, bas et long, dont toutes les ouvertures étaient aveuglées, profitait d’une nouvelle vocation. Le jeune homme frappa à une porte, un colosse au nez de travers ouvrit { demi pour l’examiner des pieds { la tête, puis s’esquiva pour le laisser passer.
    Autant les rues environnantes demeuraient plutôt silencieuses, autant l’animation régnait en ce lieu. Autour de tables sur lesquelles étaient posées des lampes tamisées, des dizaines d’hommes buvaient dans un nuage de fumée de pipes et de cigarettes. Quelques femmes trop fardées, embellies par la pénombre ambiante, passaient d’un groupe
    { l’autre pour lier conversation.
    Le jeune homme s’assit un peu { l’écart, commanda un verre de gin à un prix outrageusement élevé. Une jeune femme s’approcha pour demander :
    — Comment tu t’appelles ?
    Ses lèvres épaisses paraissaient rouge sang sous l’éclairage artificiel, son sourire montrait des dents résolues à se chevaucher l’une l’autre.
    — Je n’ai besoin de rien, ne perdez pas votre temps avec moi.
    Vexée, la marchande de chair s’éloigna, la bouche crispée en un rictus.
    — Tu as fait vœu de chasteté, ricana quelqu’un { une table voisine.
    Pour rentabiliser l’espace, les tables s’entassaient les unes contre les autres. Cela ne favorisait pas la discrétion propice à ce genre de transaction.
    L’importun pouvait être personnellement intéressé dans le commerce de la travailleuse de la nuit. Plus probablement, il trouvait un peu d’excitation { chercher noise au premier venu. Pour certains habitués des buvettes, clandestines ou non, une bonne soirée se terminait par un échange de coups qu’ils préféraient généralement donner, pas recevoir.
    — C’est ça, maugréa Mathieu, je dois entrer dans les ordres la semaine prochaine. Je serai ordonné dimanche dans le chœur de l’église Saint-Roch.
    L’autre demeura un moment interdit, comme s’il prêtait foi à la boutade. Puis, après un regard échangé avec son compagnon de beuverie, il reprit:

    — Imbécile. L’église est toujours en construction.
    Mathieu haussa les épaules, prit son verre de sa main gantée et avala une partie de la boisson.
    — Tu ne le savais pas ? insista son interlocuteur.
    — Je me trouvais en voyage.
    — En voyage ? Où ça ?
    — Très loin.
    Les occupants de la table voisine se concertèrent un moment à voix basse.
    — Ça doit être un héros de la guerre, ricana l’un d’eux.
    Le 22e vient de revenir.
    — Tu penses ? rétorqua l’autre. Il ressemble { un idiot, pas à un héros.
    Tous les deux pouffèrent de rire, vidèrent leur verre.
    Après un moment d’attente, le plus bavard insista :
    — Tu vas nous le dire, { la fin ? Tu es l’un de ces foutus héros de la Grande Guerre, l’un de ceux qui ont paradé dans les rues ?
    Ce genre de manifestation ne suscitait visiblement pas une admiration unanime.
    — Non, tu l’as dis, je suis un idiot.
    — Ça c’est vrai. Il fallait être idiot pour se laisser enrôler de force.
    — J’étais volontaire.
    Le vétéran se trouva un peu sot de donner cette précision. Pourtant, la distinction lui paraissait toujours marquer une différence importante. Ses interlocuteurs
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