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Les galères de l'orfêvre

Les galères de l'orfêvre

Titel: Les galères de l'orfêvre
Autoren: Jean-Christophe Duchon-Doris
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d’eux, l’agitation se faisait plus dense. Le soleil dépassait le toit des bâtiments et déversait une lumière crue et déjà chaude. Les dalles de la cour se glaçaient d’argent, luisantes comme des écailles de poisson.
    Guillaume prit l’objet, le tordit en tentant de reproduire la forme de l’aiguille de l’aveugle puis l’introduisit dans la serrure. Comment l’infirme s’y était-il pris déjà ? Il avait soulevé et…
    La serrure céda. Il attrapa Delphine par le bras, l’entraîna à l’intérieur puis referma la porte.
    — Bien, dit-il. Nous avons peu de temps.
    Des armoires gigantesques couraient le long des murs de la pièce. L’administration de l’arsenal était décidément tenue de main de maître. Tout était étiqueté, rangé par ordre chronologique ou alphabétique. Il ne mit guère de temps à retrouver les registres qui l’intéressaient : le registre général des galériens vivants enfermés à Marseille, celui des entrées des années 1680, celui des surnoms, celui enfin des condamnés pour faits de religion.
    — Tenez, dit-il à Delphine, prenez celui des surnoms et cherchez tout ce qui peut avoir un lien avec une jambe de bois : « le boiteux », « l’estropié », « jambe folle »…, que sais-je encore…
    Elle prit le document du bout des doigts en faisant la moue mais se mit aussitôt à l’ouvrage. Ils tournèrent les pages en silence. Dehors, les bruits prenaient de l’ampleur – rires, ordres à haute voix, pas cadencé des soldats, tintements des chaînes de forçats sur les dalles.
    — Rien ! dit-il dépité en envoyant valser le dernier registre. Aucun Jean Gallion. C’est à désespérer !
    — J’ai deux « Patte-en-bois », dit-elle et un « La quille », mais aucun ne s’appelle de son vrai nom Jean Gallion. « La Quille » est mort il y a deux ans. L’un des « Patte-en-bois » est entré en avril 1700 et l’autre l’année dernière.
    Il était abattu et la regardait tristement. Des cernes bleus se dessinaient sous ses yeux et ses joues creuses paraissaient de cuir. Elle lui sourit et demanda :
    — Y a-t-il quelque part un registre de l’administration ?
    — Que voulez-vous dire ?
    — L’équivalent de ce qui existe pour les forçats mais pour les agents du roi ? Du commis aux écritures jusqu’à … l’intendant ?
    — Sans doute, dit-il en fronçant le sourcil. J’ai vu des registres là-bas sur l’étagère…
    Elle se leva. Il était trop tôt pour lui faire part de son soupçon. Malgré son déguisement d’ouvrier, son allure n’avait jamais été aussi femelle, avec une démarche déhanchée qu’accentuait le pantalon trop large glissant un peu sur les reins et la fragilité des poignets dépassant des manches du paletot. D’un geste machinal, elle rabattit la mèche folle derrière son oreille. Il la regarda saisir les livres et tourner les pages.
    — Je l’ai, dit-elle soudain avec des tremblements dans la voix. Un Jean Gallion, entré à l’arsenal en 1685, comme frère lai…
    Elle était elle-même surprise. Ce n’était pas ce qu’elle attendait.
    — Comme quoi ?
    — Frère lai, dit-elle. Ce sont des auxiliaires laïques qui ont, un temps, assisté les aumôniers des galères. Ils visitaient les forçats, les instruisaient des vérités de la religion et devaient aider à la traque des religionnaires. L’arsenal, à ce que je lis, en a recruté beaucoup ces années-là.
    — Votre Jean Gallion a dû se porter volontaire pour échapper à la sanction de l’évêque. Je n’en reviens pas… Un frère lai…
    — Il ne l’est plus, dit-elle très lentement et en pesant ses mots. Les frères lais n’existent plus. Beaucoup sont partis. Quelques-uns sont restés employés à d’autres tâches. Jean Gallion a été engagé par l’administration sous le nom de sa mère.
    — Le nom de sa mère ? Quel nom ?
    — Thomazeau ! dit une voix derrière lui.
    L’écrivain du 5 e  bureau se tenait debout sur le seuil des archives, un pistolet dans la main dont on voyait fumer la mèche, avec derrière lui deux forçats dont Rembart.
    — J’attendais, ajouta-t-il avec une grimace. Je voulais savoir si vous trouveriez. Votre épouse est redoutable, monsieur de Lautaret.
    — Vous n’avez pas de jambe de bois ! s’exclama Delphine avec un ton de reproche.
    Il parut quelque peu surpris. La jeune femme l’observait : un nez fort, des yeux à fleur de tête, la peau
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