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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters
Autoren: Patrick deWitt
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tête. «   Mieux vaut l’éviter. Il y a eu un épisode malheureux concernant ses émoluments. Il serait sans doute ravi de me revoir, mais je ne pense pas qu’il serait prêt à nous aider à nouveau. Il m’a signalé un autre campement à quelques kilomètres plus au sud. C’est peut-être notre meilleure option, si tu penses pouvoir y arriver.
    â€” Je crois que je n’ai pas le choix.
    â€” Comme souvent dans la vie, mon frère, j’imagine que non.   »
    Nous avancions lentement, bien que le terrain, en pente douce, fût plutôt praticable. Je me sentais étrangement heureux, comme si j’avais participé à quelque petit jeu, jusqu’à l’instant où Tub fit un faux pas. Ma bouche se ferma alors d’un coup, et je poussai un hurlement de douleur tout en me gaussant du ridicule de la situation. Je glissai alors une chique de tabac entre mes dents inférieures et supérieures, pour amortir les chocs. Ma bouche s’emplit d’une salive brune mais il m’était trop pénible de la cracher, donc je me contentai de me pencher en avant pour la laisser s’écouler sur l’encolure de Tub. Nous traversâmes une petite averse de neige   ; les flocons me rafraîchirent agréablement le visage. Ma tête dodelinait, et Charlie fit une volte autour de moi pour m’observer dans le détail. «   Ça se voit de dos aussi, dit-il. Ton cuir chevelu est gonflé. Tes
cheveux
sont gonflés.   » Nous contournâmes la ville du docteur que Charlie n’avait pas payé, et trouvâmes l’autre campement à quelques kilomètres de là, un endroit sans nom qui s’étendait sur quatre cents mètres et abritait à peine une centaine de personnes. Mais la chance était avec nous, et nous trouvâmes un dentiste du nom de Watts qui fumait sa pipe devant sa vitrine. Alors que j’approchais, l’homme sourit et s’exclama, «   Quel drôle de métier je fais, à me réjouir quand je vois quelqu’un d’aussi difforme   !   » Il me fit entrer dans son petit espace de travail parfaitement organisé, et me désigna un fauteuil tout neuf en cuir rembourré qui couina et soupira lorsque je m’assis. Approchant un plateau d’ustensiles étincelants, il m’interrogea sur mon passé dentaire, mais je ne pus lui répondre de manière satisfaisante. J’avais, de toute façon, l’impression que mes réponses lui importaient peu et qu’il était surtout content de formuler ses questions.
    Je lui fis part de ma théorie selon laquelle mon problème dentaire était lié à la morsure de l’araignée ou au remède contre le venin, mais Watts dit qu’aucune preuve médicale n’étayait ma thèse. Il ajouta, «   Le corps est un vrai miracle, et qui sait disséquer un miracle   ? C’est peut-être l’araignée, il est vrai, mais c’est peut-être aussi une réaction au soi-disant remède du médecin contre le venin, à moins que ce ne soit ni l’un ni l’autre. Cependant, quelle différence cela fait-il de savoir pourquoi vous n’allez pas bien   ? N’ai-je pas raison   ?   »
    J’acquiesçai. Charlie intervint   : «   J’étais en train de dire à Eli, docteur, que je parie qu’il a au moins trois litres de sang qui se baladent là-dedans.   »
    Watts dégaina un étincelant bistouri en argent. Il se laissa aller sur sa chaise, et observa ma tête comme s’il contemplait une sculpture monstrueuse. «   Voyons voir   », dit-il.

 
    L’histoire de Reginald Watts était particulièrement malchanceuse. Il avait connu toutes sortes d’échecs et de catastrophes, mais il en parlait sans amertume ni regret, et semblait même s’amuser de ses nombreux faux pas   : «   J’ai échoué dans les affaires, j’ai échoué dans les escroqueries, j’ai échoué en amour, j’ai échoué en amitié. J’ai échoué dans tout, absolument dans tout. Allez-y, choisissez quelque chose. N’importe quoi.
    â€” L’agriculture, dis-je.
    â€” J’étais propriétaire d’une exploitation de betteraves à sucre à cent cinquante kilomètres d’ici. Je n’ai pas
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