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Les Frères Sisters

Les Frères Sisters

Titel: Les Frères Sisters
Autoren: Patrick deWitt
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cheminée, sur le parquet gondolé. La chaleur réchauffa agréablement mon visage et mes mains, et pendant un instant je fus heureux d’être là. Assise à table, la femme ne disait mot, son visage dissimulé dans les épaisseurs de ses nippes. Un tas de petites perles et de pierres rouge et noir sans éclat s’étalait devant elle   ; ses mains émergèrent de ses haillons et les saisirent une à une avec agilité, pour les enfiler sur un fil et en faire un long collier ou quelque autre bijou. La flamme vacillante d’une lampe sur la table éclairait la pièce d’une faible lueur jaune.
    Â«   Nous vous sommes très reconnaissants, madame, dit Charlie. Mon frère ne se sent pas très bien, et n’est pas en état de dormir dehors.   » Devant le mutisme de la femme, Charlie me dit qu’il pensait qu’elle était sourde. «   Je ne suis pas sourde   », rétorqua-t-elle. Elle prit un bout du fil dans sa bouche et le mâchouilla pour le couper.
    Â«   Bien sûr, dit Charlie. Je ne voulais en aucun cas vous offenser. Maintenant je vois à quel point vous êtes adroite. Et votre intérieur est très bien entretenu, si je puis me permettre.   »
    Elle mit de côté ses perles et ses fils. Sa tête pivota vers nous, mais ses traits restèrent dissimulés dans les ombres fuyantes. «   Croyez-vous que j’ignore quel genre d’hommes vous êtes   ? demanda-t-elle en désignant d’un doigt tordu les pistolets à nos ceintures. Pour qui essayez-vous de vous faire passer, et pourquoi   ?   »
    L’attitude de Charlie changea ou plutôt il reprit son expression habituelle, et redevint lui-même. «   Très bien, dit-il, qui sommes-nous alors   ?
    â€” Ne seriez-vous pas des tueurs   ?
    â€” Ce sont nos armes qui vous font penser cela, n’est-ce pas   ?
    â€” Je ne pense rien. Je le sais grâce aux hommes morts qui vous suivent.   »
    Les poils de mon cou se hérissèrent. C’était ridicule, mais je n’osais pas me retourner. Conservant un ton égal, Charlie demanda, «   Craignez-vous que l’on vous tue   ?
    â€” Je ne crains rien, et surtout pas vos balles et vos discours.   » Elle posa son regard sur moi, et me lança, «   Craignez-vous que je
vous
tue   ?
    â€” Je suis très fatigué, répondis-je bêtement.
    â€” Allongez-vous sur le lit, m’enjoignit-elle.
    â€” Où dormirez-vous   ?
    â€” Je ne dormirai pas. Je dois finir mon travail. Demain matin je serai plus ou moins partie.   »
    Le visage de Charlie s’était durci. «   Ce n’est pas votre cabane, c’est ça   ?   »
    Elle se raidit, et eut l’air de ne plus respirer. Elle écarta ses guenilles et, dans la lueur du feu et de la lampe, je vis qu’elle n’avait presque pas de cheveux sur la tête, seulement quelques touffes blanches éparses, et que son crâne était bosselé, l’air presque mou par endroits comme un vieux fruit écrabouillé. «   Chaque cœur a un son qui lui est propre, dit-elle à Charlie, comme c’est le cas pour les cloches. Le son du vôtre est très pénible à entendre, jeune homme. Il malmène mes oreilles, et mes yeux souffrent quand je vous regarde.   »
    Un long silence s’ensuivit tandis que Charlie et la vieille sorcière s’observaient sans mot dire. Je ne parvenais pas à deviner leurs pensées. Finalement, la femme s’enveloppa à nouveau le crâne, et reprit son ouvrage   ; Charlie s’allongea par terre. Au lieu de me coucher dans le lit, je m’étendis près de lui, car la femme m’effrayait et je pensais qu’il était plus prudent pour nous de dormir côte à côte. J’étais si faible que, malgré mon inquiétude, je sombrai bientôt dans le sommeil, et rêvai que je me tenais debout à regarder mon propre corps endormi dans la pièce. La vieille femme se levait et s’approchait de nous   ; mon corps commençait à se débattre et à transpirer, mais Charlie demeurait calme et immobile, et la vieille femme, se penchant sur lui, lui ouvrait la bouche avec ses mains. D’un repli sombre de ses hardes s’écoulait doucement un épais liquide noir qui
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