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Les fleurs d'acier

Les fleurs d'acier

Titel: Les fleurs d'acier
Autoren: Pierre Naudin
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engagée. Bien qu’il l’eût désarmé par un coup dont il se merveillait encore, l’aspect de cet homme, sa franchise tranchante et lourde comme un fer de hache, l’éclat de ses yeux noirs au-dessus d’un sourire assez rare et hautain, lui en imposaient. Une fois de plus, la sagesse et la suspicion à l’égard de cet allié des Goddons lui soufflèrent de s’en éloigner sans tarder ou d’agir en sorte qu’il partît de lui-même. Comment faire ? Dans sa joie d’être armé chevalier, il avait accepté qu’il parcourût quelques lieues en sa compagnie ; il regrettait cet accès d’indulgence.
    — Nous randonnons comme des malfaisants, grommela Thierry. Je sais, messire, qu’un écuyer n’a rien à dire, mais où allons-nous passer la nuit ?
    Baissant la voix, il insista :
    — Nous ne sommes pas qu’entre hommes…
    Ogier lança un regard vers Adelis. Titus le faucon agriffé à son poing, elle semblait aussi vaillante que Facebelle, sa jument grise.
    — Nous devons persévérer, Thierry !
    Entre deux haies d’orties frémissantes, une chaussée fangeuse, pavée de loin en loin, piquait droit sur Châlus et franchissait un pont.
    — Petite cité, dit Raymond, maussade. Certes, la nuit approche, mais on croirait les gens emmurés dans leur nid !
    D’un mouvement, Ogier soulagea la guige de son écu : elle commençait à lui scier l’épaule :
    — Plus que la nuit, c’est la peur qui tient les Châlusiens au logis… Voyez !
    Il désignait deux corps suspendus à un arbre. Un homme vêtu ; une femme nue. Sur leur face livide et gonflée, les yeux crevés pleuraient un sang noir. Le vent hurlupait leurs cheveux et les berçait dans leur sommeil vertical.
    — Les routiers de Canole ? questionna Thierry en gesticulant pour disperser des corbeaux immobiles dans les ramures.
    — Plutôt ceux d’Arnaud de Cervole, ricana Briatexte.
    — Nous ne connaissons pas notre bonheur, dit Ogier. Nul ne peut sortir ce que nous deviendrons [10] .
    Les martyrs étaient jeunes ; la femme avait dû être belle. Tous s’en détournèrent, sauf Briatexte.
    — Or çà, compagnons ! s’exclama-t-il. Nous avons l’appétit du bonheur exigeant. Pour ce manant et son épouse, une soupe dans leur écuelle et un morceau de lard suffisaient, j’en suis sûr, à leur contentement !
    — Le croyez-vous vraiment, messire  ? demanda Bressolles.
    — Nul ne pourra faire plus pour les culverts et les manants de France que ce que fait Philippe VI… Et ce qui rend les hommes de cette espèce aussi parfaits à la bataille, c’est que non seulement ils sont hargneux de naissance, mais qu’ils ne craignent point la mort, puisqu’elle est pour eux délivrance…
    — Elle l’est aussi pour nous.
    — Allons, Ogier ! ricana familièrement Briatexte. Nous souhaitons, nous, qu’elle nous emporte le plus tard possible… Pense à vivre, chevalier ! Et vivre, c’est manger, boire, combattre et forniquer largement !
    — Les temps changeront, intervint fermement Bressolles. Ceux qui s’efforcent et peinent verront un jour la guerre non pas comme la sanglante occasion d’une délivrance, mais comme un mal hideux dont souffraient leurs ancêtres. Leur barbe aura le temps de fleurir, comme celle des seigneurs. Leurs épouses se verront grand-mères, comme les gentes dames. Leurs maisons seront accueillantes. Entre la huche pleine, et le lit enfin pourvu de draps, la table ne sera plus cet autel sans pain ni vin dont, pour ma part, j’ai honte pour nous… Il y aura très souvent de la viande et jusque sur les os qu’on jettera aux chiens…
    — Bien dit, fit Ogier avant de retomber dans son silence.
    Leurs portes et contrevents fracassés, des maisons mortes débordaient de l’enceinte. Des champs de froment arsés, arriflés [11] semblaient de grands pelages bigarrés de noir, de safran ; d’autres cultures, piétinées par les semelles et les fers des chevaux, exhalaient, sous l’effet de la pluie, une vague odeur de mangeaille.
    — Qu’ils soient de Knolles ou de Cervole, les malandrins qui nous précèdent méritent d’être occis !
    Cette désolation serrait le cœur d’Ogier. Pour lui, le royaume de France c’étaient ces terres, ces maisonnelles piteuses, plus encore que les villes, les bourgs, les châteaux repliés orgueilleusement sur leurs privilèges. De ces glèbes immenses foulées par toutes sortes d’envahisseurs, la piétaille surgissait, résignée, quand les
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