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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise
Autoren: Nicolas Remin
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vers elle, de toute évidence sans savoir ce qui s’était passé. Puis il comprit et tendit sa paume dirigée vers le haut, s’apitoyant sur son sort dans un geste larmoyant : l’index, le majeur et l’annulaire pendaient comme trois marionnettes fatiguées. « Il n’est pas près de rejouer du violon », pensa-t-elle. Cette pensée bien puérile lui donna de la force.
    Brusquement, elle aperçut la scène avec une étonnante acuité ; le contour de chaque chose se précisa. Elle connaissait cette sensation grâce au vol à la tire. Quand on se concentrait vraiment, le temps ralentissait. Tandis que la victime semblait marcher dans l’eau, on avait soi-même l’impression de planer avec une incroyable aisance dans une couche d’air léger. Elle entrevit des gouttes de sueur qui perlaient sur le front de l’assassin, la flamme de la bougie qui se réfléchissait dans l’iris marron de ses yeux écarquillés et incrédules, les dents qui brillaient dans ses mâchoires rageuses. Elle entendit le sifflement de l’air qu’il aspirait en reprenant son souffle.
    Que lui répétait sans cesse signor Settembrini pour le jour où elle serait en danger ? Ah, oui ! « Les petites filles ont bien plus de force qu’elles ne le pensent. Simplement, elles n’osent pas en faire usage. Elles ont peur de mordre. Donc, si tu frappes, avait-il coutume de dire, frappe sans retenue. Si tu as une arme à portée de main, sers-t’en. Si tu peux planter un couteau, vas-y – dans les yeux ou dans la bouche, en tout cas un endroit mou, quelque part où cela fasse mal. Si tu peux, attaque en premier. C’est la dernière chose à laquelle ton ennemi s’attend. Profite de l’effet de surprise. »
    Elle hocha la tête de manière imperceptible. Soudain, un calme clair et bleu comme l’eau envahit son esprit. Au fond, il en allait ici comme du vol à la tire. Tout dépendait de la rapidité d’exécution et de la qualité des réflexes. En même temps, une attaque par surprise ne pouvait pas nuire. C’est exactement ce qu’elle fit.
     
    Elle projeta sa main gauche vers la table de nuit et referma les doigts. Les ciseaux argentés qui brillaient dans la lueur vacillante de la flamme fendirent l’air, égratignèrent la joue de l’homme et lui transpercèrent l’œil droit. Il poussa un cri – un cri aigu sans reprendre son souffle. Avant qu’il ne s’abattît sur elle, elle frappa de nouveau. Cette fois, elle atteignit l’œil gauche, lâcha les ciseaux et se roula sur le côté.
    Le cri de l’homme ressemblait à présent au hurlement d’un fou. Au lieu d’extraire les ciseaux de l’orbite, il agitait les bras dans tous les sens, comme pour s’agripper à d’invisibles poignées. Il se redressa en haletant, se releva avec difficulté, tituba, se cogna le front contre le mur et se retourna en exécutant une pirouette presque gracieuse. Puis il glissa lentement par terre.
    Avant de perdre connaissance, la dernière chose qu’elle vit fut le liquide blanchâtre qui s’écoulait de son œil droit et des ciseaux enfoncés dans le gauche jusqu’au cerveau.

51
    — Sa température a enfin baissé, se réjouit la princesse. Le docteur Garzoni s’est dit très soulagé.
    Allongée sur la méridienne, elle essaya d’attraper sa tasse de café de la main droite, sans se redresser. Elle avait la voix éteinte et morne.
    Tron, arrivé tout droit de la questure deux minutes auparavant, calcula qu’au cours des quatre dernières nuits, elle n’avait guère dormi plus de cinq heures au total. Il était quatre heures. Voilà trois jours que les événements du rio della Verona avaient fait tourner une dernière fois le kaléidoscope.
    — Puis-je monter la voir ? demanda-t-il en se penchant au-dessus de la petite table qui les séparait.
    La princesse fit non de la tête.
    — Elle dort. C’est nécessaire. Nous marchons tous sur la pointe des pieds, ici.
    Le commissaire se sentait coupable de ce qui était arrivé. Cette fois, il ne put s’empêcher de se laisser aller à une confidence.
    — Ce drame ne se serait jamais produit si je n’avais pas révélé le nom de la petite à Beust.
    À son grand soulagement, la princesse interpréta cette remarque comme une invitation à le contredire.
    — Tu n’as pas de reproches à te faire, observa-t-elle. Personne ne pouvait deviner que le lieutenant de vaisseau menait à ce point un double jeu.
    Ni, pensa Tron, qu’en dépit de ce double jeu, il perdrait
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