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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise
Autoren: Nicolas Remin
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1
    Le sandalo 1 avait des dimensions ridicules – tout au plus trois mètres de long –, mais comme il le constata bientôt, il n’en était que plus maniable. Une fois qu’il eut trouvé son rythme (un coup de rames toutes les quatre inspirations), les poignées se révélèrent d’une forme agréable et le léger claquement des pales dans l’eau presque imperceptible. Sans le froid brouillard qui semblait s’épaissir à chaque tour d’avirons, cette promenade dans la nuit vénitienne lui aurait procuré un réel plaisir.
    La visibilité n’excédait pas trois mètres. Il prenait soin de rester au milieu du canal car à marée haute, les appontements de bois dépassaient à peine de l’eau. Les façades, masses noires et compactes des deux côtés du rio 2 , lui faisaient penser à de lointaines Préalpes. Pendant quelques secondes, il se crut revenu à l’époque où la lagune ne comprenait encore que des îlots inhabités, couverts de roseaux.
    Il sursauta en entendant un rire s’échapper d’une fenêtre et s’amplifier, puis – telle une pierre friable – se désagréger en un ricanement sec. Alors, il ne put s’empêcher de songer au jour de leur première rencontre : par une matinée de printemps ensoleillée, sur la place Saint-Marc, devant le café Quadri , au milieu d’un groupe de jeunes femmes vêtues de robes blanches et vaporeuses, elle avait ricané de cette manière.
    Cinq minutes auparavant, il avait croisé l’extrémité du rio di San Luca et, déjà, il s’engageait avec précaution dans le rio della Verona où il touchait au but : le quatrième immeuble sur la gauche, un petit bâtiment de deux étages au crépi écaillé et au toit percé. Même dans l’épais brouillard, il n’aurait aucun mal à le reconnaître, car le débarcadère en bois était équipé d’un garde-fou blanc.
    Au cours de l’après-midi, il avait brièvement caressé l’idée d’acheter une grande bouteille de grappa, de la vider et – si nécessaire – de fermer les écoutilles pendant deux jours. Néanmoins, il savait que ce n’était pas une solution. Ses mains se crispèrent autour des poignées. À travers la brume, il aperçut la balustrade blanche et, au-dessous, le ponton.
    Il posa les rames en prenant soin d’éviter le moindre bruit. Il se leva avec prudence, alluma une cigarette et expira un anneau de fumée, notant sans surprise que celui-ci restait suspendu dans l’air humide. Enfin, il se pencha pour attraper la corde fixée à la proue et sentit contre sa hanche le couteau dans sa gaine en cuir.
     
    La jeune fille portait une robe légère, une cape élimée de couleur marron foncé qui lui descendait juste au-dessous du genou et, pour courir plus vite, de simples chaussures de toile. Dans la lueur chétive des becs de gaz qui flanquaient l’entrée du Teatro La Fenice, ses cheveux prenaient des reflets presque dorés. Les réverbères soulignaient la beauté de son visage trempé par la bruine qui tombait dans le brouillard. Elle s’essuya le front, mais l’humidité y resta collée, pareille à une tache rebelle.
    Les commissures de ses lèvres se baissèrent avec mépris lorsqu’elle aperçut, de l’autre côté des marches, deux autres fillettes attendant la fin de la représentation pour vendre leurs petits bouquets d’immortelles – avec une gentille révérence. Elle fut obligée de rire en s’imaginant faisant des courbettes au cours de ses activités nocturnes.
    À dix heures et demie pile, la cloche de San Stefano retentit dans la nuit. Presque aussitôt, la lumière s’alluma dans le foyer de La Fenice. Quelques minutes après, les premiers spectateurs sortirent du vestiaire et les valets en livrée accoururent pour ouvrir. Un nuage d’air chaud et confiné se déversa sur l’esplanade glacée ; des flots inégaux de lumière jaune et orange firent scintiller le brouillard au-dessus du perron.
    Alors, le public se répandit à l’extérieur. Le campo 3 San Fantin qui, dix minutes plus tôt, n’était peuplé que d’une petite douzaine de domestiques transis ressembla tout à coup à une ruche en pleine effervescence. On courait dans tous les sens, on criait des ordres et des noms, on se perdait dans le brouillard nocturne, on se retrouvait pour former des cercles. Dans l’éclat des lanternes sourdes et des flambeaux, les bijoux des dames brillaient comme des pièces dans une flaque.
    La jeune fille quitta son poste d’observation et se mit en
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