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Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise
Autoren: Nicolas Remin
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perdre ? Il ne savait pas. Il savait seulement qu’il ne servait plus à rien d’y réfléchir. Trop ruminer rendait fou. Surtout quand la douleur qui vous brûlait possédait le pouvoir d’estomper toute pensée raisonnable et de déformer les angles les plus droits.
    Il jeta le revolver au pied du lit car il valait mieux, maintenant, tenir l’oreiller à deux mains. Puis il se pencha vers la jeune fille. Un rapide coup d’œil sur son visage le convainquit qu’elle était toujours inconsciente. Il ne faudrait guère plus de trois minutes pour l’étouffer.
     
    Un halètement discret ainsi que le contact d’une main lui avaient fait reprendre ses esprits. Des doigts inconnus soulevèrent une mèche sur son visage, puis lui caressèrent la joue de haut en bas. Elle sentit ses cheveux retomber et lui chatouiller l’oreille. Alors, la main se dirigea vers sa gorge et s’y arrêta un instant, puis tira en dessous de sa tête un objet mou qui sentait la violette.
    Plus tard, elle prétendrait avoir aussitôt compris et s’être retenue à dessein de crier ou d’ouvrir les yeux. En vérité, elle ne bougea pas, non en raison de son sang-froid, mais parce qu’elle était toujours paralysée, prisonnière d’une stupeur qui la coupait du monde telle une fine membrane. Elle n’était pas en mesure de remuer un doigt et moins encore de se mettre à hurler. À son réveil, elle était bien loin d’avoir compris.
    À présent, le souffle, encore très proche un instant auparavant, recula. Des talons produisirent un bruit sourd sur le sol, le plancher craqua. Le son de cloches provenant d’une église pénétra dans la pièce. Il perça l’hébétude qui la tenait jusque-là sous sa coupe. Lorsque ses pensées émergèrent de la grisaille – enfin –, elle devina qu’il l’avait attrapée, devancée, et que, pour de mystérieuses raisons, il avait décidé de ne pas l’abattre sur-le-champ, mais de la porter dans sa tanière.
    Pourquoi ? Voulait-il savoir, avant de la tuer, si elle avait parlé ? Avait-il l’intention de la… Elle ne put s’empêcher de repenser à ses mains lui enserrant le cou. L’effroi lui noua brutalement la gorge. On aurait dit qu’elle avait avalé un liquide bouillant, une immonde potion.
    Cette fois, ce fut bien au prix d’un remarquable effort de volonté qu’elle resta à l’ombre d’une feinte syncope. Elle reprit la maîtrise de son souffle qui s’était accéléré. Puis à son grand soulagement, sans surprise, elle éprouva un nouveau sentiment qui se frayait un chemin à travers l’angoisse : son instinct de survie, très développé, gagnait rapidement en contour et en clarté. Quoi qu’il entreprît, l’inconnu serait bien obligé d’approcher. C’était là que résidait son unique chance.
    Elle entrouvrit les paupières avec précaution. Sa tête, inclinée vers la gauche, reposait sur un oreiller. À travers le rideau de cils, elle découvrit à peu près le spectacle auquel elle s’attendait : une petite pièce, manifestement une chambre, faiblement éclairée par une bougie (qu’elle avait déjà sentie), posée sur une table de nuit à une coudée d’elle. À côté du chandelier, elle aperçut deux anneaux métalliques qui brillaient dans l’éclat de la flamme – de toute évidence, des ciseaux.
    L’homme se tenait près du lit, comme elle l’avait supposé. Elle ne distinguait pas son visage car son champ de vision s’arrêtait en bas du cou. Cependant, il lui parut trop risqué d’ouvrir plus grands les yeux. L’individu tenait quelque chose dans les bras. On aurait dit un vêtement roulé en boule. Au bout de quelques secondes, elle devina qu’il s’agissait de l’autre oreiller, celui qu’il venait d’extraire de dessous sa tête.
    À ce moment-là, il se pencha au-dessus d’elle. Par la fente de ses paupières, elle distingua sur son visage les reflets rouges et fébriles qui dansaient comme des ombres avides. Tout à coup, elle sut qu’il s’apprêtait à la tuer – avec l’arme qu’il tenait dans les mains.
    Elle n’avait pas prévu qu’il l’attaquerait si vite. Le coussin fonça sur elle. Seule la rapidité de ses réflexes la sauvèrent : elle releva la tête, tendit le bras à la vitesse de l’éclair, attrapa trois doigts de sa main gauche, les retourna de toutes ses forces et entendit les articulations craquer. Son agresseur lâcha l’oreiller, tomba à genoux et hurla de douleur.
    Il revint aussitôt
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