Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Les fiancés de Venise

Les fiancés de Venise

Titel: Les fiancés de Venise
Autoren: Nicolas Remin
Vom Netzwerk:
toutes ses pensées.
    Lorsqu’il avait appris – par l’intermédiaire de ce répugnant Pucci – qu’elle avait l’intention de mettre l’archiduc au courant de ses projets de chantage, il avait dû passer à l’action. Si l’amour avait cédé la place au mépris ou à l’indifférence, il aurait pu envisager une autre solution. Par malheur, tel n’avait pas été le cas. À chaque lettre qu’il lui envoyait, ses sentiments pour elle avaient paru s’intensifier. À la fin, il avait compris qu’il devait la tuer s’il ne voulait pas la perdre.
    Telle une pierre jetée dans l’eau, ce geste avait provoqué une onde circulaire, suivie d’une deuxième, puis d’une troisième. Il s’était lui-même étonné de voir chacune de ses expéditions réussir avec la précision d’une horloge suisse. Sans doute, pensa-t-il, cette fortune s’expliquait-elle par le fait qu’il n’avait plus rien à perdre, du moins plus rien à quoi il tînt vraiment.
    Il soupira et laissa son regard balayer la table où, en dehors de ses jambes, de la tasse et de ses gants, se trouvait son revolver. La porte de la chambre n’était pas fermée. Il aperçut le corps de la fillette. En se balançant sur les pieds de sa chaise, il distingua sa tête, légèrement penchée sur le côté, la joue recouverte d’une touffe de cheveux blonds, la bouche entrouverte.
    Il suffirait de l’étouffer avec un coussin. La mort du témoin censé identifier Calderón ne relancerait pas l’affaire. Personne ne se poserait de questions. Cette ville regorgeait de fous dangereux. La gamine pouvait très bien avoir rencontré l’un d’eux par hasard dans le brouillard. Un malade qui cherchait quelque chose à se mettre sous la dent. Lorsqu’il avait relâché son étreinte, tout à l’heure, elle respirait encore. Un scrupule l’avait retenu de lui donner le coup de grâce sur place. Il n’avait eu aucun mal à la porter d’abord dans l’église déserte, puis dans les rues nocturnes jusqu’au rio della Verona. Il ne savait pas exactement pourquoi il l’avait laissée en vie. Dans un sens, il lui avait paru plus simple de la tuer dans l’appartement plutôt que dans l’arrière-cour de Santa Maria Zobenigo.
    Il ne s’agissait pas d’une décision réfléchie, mais d’un élan spontané, instinctif, comme il en avait connu tant depuis deux semaines et demie. Tous s’étaient conclus par un succès – par un crime. Sans doute, songea-t-il, le désir inconscient de la tuer ici relevait d’un besoin de symétrie. Il fallait que tout s’achève en ce lieu où il avait commencé, où tout avait commencé.
    Par précaution, il prit le revolver dans la main droite et se dirigea vers la chambre. Les fenêtres étaient closes. Cependant, un léger souffle pénétrait dans la pièce à intervalles réguliers, faisant vaciller la flamme de la bougie posée sur la table de nuit et aspirant par à-coups les rideaux dans la baie. Ceux-ci lui faisaient alors penser aux voiles d’un bateau lors d’une accalmie, incapables de se gonfler en dépit de leurs efforts. Une gondole passa sur le rio . Il entendit des voix étouffées ainsi que le son caractéristique de la godille dans le tolet. Les bruits s’éloignèrent, puis se détendirent dans le brouillard nocturne comme un invisible ressort de montre.
    Il s’approcha du lit à pas de loup, s’agenouilla au chevet de la jeune fille et admira un instant son profil pur, sa bouche sensuelle et ses longs cils foncés. Ses cheveux blonds étaient sales et mouillés. Pourtant, ils brillaient dans la pâle lueur comme des fils d’or ténus. Il les repoussa de la main gauche – la droite enserrait toujours le revolver – et caressa la gorge de sa victime. Le faible battement de la carotide révélait que son cœur battait encore. Il était temps de faire le dernier pas.
    Tout doucement, avec un mouvement infime, presque tendre (il serait plus facile de l’étouffer si elle n’avait pas encore repris connaissance), il tira l’oreiller placé sous sa tête en se demandant s’il devait jeter le corps dans le rio della Verona. Il serra le coussin dans ses bras et inspira le parfum de violette presque imperceptible. Tout à coup, ses souvenirs rejaillirent, si intenses qu’il en ferma les yeux pour les retenir.
    En se relevant, il sentit la douleur s’enflammer comme de la braise sous l’effet d’une bourrasque inopinée. Mon Dieu, avait-il vraiment fallu qu’il la tue pour ne pas la
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher