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Les Essais, Livre II

Les Essais, Livre II

Titel: Les Essais, Livre II
Autoren: Michel de Montaigne
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qualité de
l'air, que nous respirons : Strato, en l'abondance, crudité,
et corruption de l'alimant que nous prenons : Hippocrates la
loge aux esprits. Il y a l'un de leurs amis, qu'ils cognoissent
mieux que moy, qui s'escrie à ce propos, que la science la plus
importante qui soit en nostre usage, comme celle qui a charge de
nostre conservation et santé, c'est de mal'heur, la plus
incertaine, la plus trouble, et agitée de plus de changemens. Il
n'y a pas grand danger de nous m'escomter à la hauteur du Soleil,
ou en la fraction de quelque supputation astronomique : mais
icy, où il va de tout nostre estre, ce n'est pas sagesse, de nous
abandonner à la mercy de l'agitation de tant de vents
contraires.
    Avant la guerre Peloponnesiaque, il n'estoit pas grands
nouvelles de cette science : Hippocrates la mit en
credit : tout ce que cettuy-cy avoit estably, Chrysippus le
renversa : Depuis Erasistratus petit fils d'Aristote, tout ce
que Chrysippus en avoit escrit. Apres ceux-cy, survindrent les
Empiriques, qui prindrent une voye toute diverse des anciens, au
maniement de cet art. Quand le credit de ces derniers commença à
s'envieillir, Herophilus mit en usage une autre sorte de medecine,
qu'Asclepiades vint à combattre et aneantir à son tour. A leur reng
gaignerent authorité les opinions de Themison, et depuis de Musa,
et encore apres celles de Vexius Valens, medecin fameux par
l'intelligence qu'il avoit avec Messalina. L'Empire de la medecine
tomba du temps de Neron à Thessalus, qui abolit et condamna tout ce
qui en avoit esté tenu jusques à luy. La doctrine de cettuy-cy fut
abbatue par Crinas de Marseille, qui apporta de nouveau, de regler
toutes les operations medecinales, aux ephemerides et mouvemens des
astres, manger, dormir, et boire à l'heure qu'il plairoit à la Lune
et à Mercure. Son authorité fut bien tost apres supplantée par
Charinus, medecin de cette mesme ville de Marseille. Cettuy-cy
combattoit non seulement la medecine ancienne, mais encore l'usage
des bains chauds, public, et tant de siecles auparavant accoustumé.
Il faisoit baigner les hommes dans l'eau froide, en hyver mesme, et
plongeoit les malades dans l'eau naturelle des ruisseaux. Jusques
au temps de Pline aucun Romain n'avoit encore daigné exercer la
medecine : elle se faisoit par des estrangers, et Grecs :
comme elle se fait entre nous François, par des Latineurs :
Car comme dit un tresgrand medecin, nous ne recevons pas aisément
la medecine que nous entendons ; non plus que la drogue que
nous cueillons. Si les nations, desquelles nous retirons le gayac,
la salseperille, et le bois desquine, ont des medecins, combien
pensons nous par cette mesme recommendation de l'estrangeté, la
rareté, et la cherté, qu'ils façent feste de noz choulx, et de
nostre persil ? car qui oseroit mespriser les choses
recherchées de si loing, au hazard d'une si longue peregrination et
si perilleuse ? Depuis ces anciennes mutations de la medecine,
il y en a eu infinies autres jusques à nous ; et le plus
souvent mutations entieres et universelles ; comme sont celles
que produisent de nostre temps, Paracelse, Fioravanti et
Argenterius : car ils ne changent pas seulement une recepte,
mais, à ce qu'on me dit, toute la contexture et police du corps de
la medecine, accusans d'ignorance et de pipperie, ceux qui en ont
faict profession jusques à eux. Je vous laisse à penser où en est
le pauvre patient.
    Si encor nous estions asseurez, quand ils se mescontent, qu'il
ne nous nuisist pas, s'il ne nous profite ; ce seroit une bien
raisonnable composition, de se hazarder d'acquerir du bien, sans se
mettre en danger de perte.
    Æsope faict ce comte, qu'un qui avoit acheté un More esclave,
estimant que cette couleur luy fust venue par accident, et mauvais
traictement de son premier maistre, le fit medeciner de plusieurs
bains et breuvages, avec grand soing : il advint, que le More
n'en amenda aucunement sa couleur basanee, mais qu'il en perdit
entierement sa premiere santé.
    Combien de fois nous advient-il, de voir les medecins imputans
les uns aux autres, la mort de leurs patiens ? Il me souvient
d'une maladie populaire, qui fut aux villes de mon voisinage, il y
a quelques années, mortelle et tres-dangereuse : cet orage
estant passé, qui avoit emporté un nombre infiny d hommes ;
l'un des plus fameux medecins de toute la contrée, vint à publier
un livret, touchant cette matiere, par lequel il se ravise, de ce
qu'ils avoyent usé
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