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L'épervier de feu

L'épervier de feu

Titel: L'épervier de feu
Autoren: Pierre Naudin
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sang ! J’aimerais qu’il l’ait attrapée.
    La mer hurlait, le vent culait, gémissait, sifflait, fouaillait l’eau bruissante, grondante, fracassante. La terre de France était loin encore, et il semblait que les éléments ne voulussent pas que la George y parvînt.
    — Mollis les écôtes [20]  ! cria William Piers.
    — Gare à la trusserepe [21]  ! hurla le maître d’équipage.
    — Remonte sur le pont, Ogier, tu es tout pâle.
    Ogier obtempéra. Barbeyrac avait l’œil à tout.
    Là-haut, les mariniers se cramponnaient aux pavesades et aux cordages, hurlant quand une haute vague survenait. Certains présentaient vivement leur dos à cette fustigation grondante d’où ils sortaient pantelants et glacés. D’autres s’y soustrayaient en se hissant un peu plus haut dans les cordes. La George s’ébrouait, dressait son étrave, abaissait sa poupe, frayant obstinément son chemin dans les buttes et les grands fossés fleuris d’une écume grésillante.
    — Cela ne va pas durer, dit un homme d’équipage. Mais vous seriez mieux en bas, messire… Les marchands sont groupés dans le château de poupe : l’entrepont vous appartient.
    Un Français, peut-être un Normand ; mais à quoi bon savoir son pays d’origine.
    — Je crains pour nos chevaux ! hurla Ogier dans le vent.
    — Rassurez-vous ! Ils sont entravés, liés. Une murette de chêne les sépare les uns des autres… Aucun hennissement, adonques, ils n’ont point peur.
    Un cri de Kemper perça les grondements. Une ombre envahit le visage de l’homme. Une ombre dense, d’une simplicité savamment dosée, mais tellement haineuse qu’Ogier se prit à songer à Blainville quelques moments avant leur mortel combat.
    — Faites-le périr, messire, si vous tenez à la vie. Il va nous contaminer !
    En titubant pour gagner l’écoutille, Ogier entendit un nouveau cri. La douleur s’y mêlait à la désespérance.
    Loïs de Saveuse plongeait l’extrémité de son poignard dans un flacon d’eau-de-vie.
    — Il faut le faire, dit-il, tandis que Barbeyrac préparait une charpie humide car le coffret contenant les linges avait été touché par un paquet de mer.
    — Toi, Argouges, tiens-le fermement aux épaules… Barbeyrac, assis-toi sur ses jambes.
    Quelque accoutumé qu’il fut aux blessures et souffrances humaines, Ogier ferma les yeux.
    — Nous allons te délivrer de tout ce pus, Kemper, dit Saveuse. Après, tu te sentiras mieux.
    Sa voix frémissait d’impatience. Entre ses paupières mi-closes, Ogier vit que, de son pouce, il éprouvait le tranchant d’une lame étroite, aussi pointue qu’une alêne.
    Dès qu’il sentit sur lui la pointe du picot, Kemper, les mâchoires serrées, rugit, gronda, essaya de remuer pour échapper à ce dard froid et terrible. Ogier ne put se retenir d’ouvrir les yeux ; il découvrit dans un visage blafard et convulsé, un regard d’épouvante et de résignation.
    — Laissez-moi mourir ainsi, supplia le malade.
    Il haletait ; il hurla quand l’acier pénétra la première tumeur, et davantage encore quand ce fut l’autre : moins « mûre » et infectée, sans doute, Saveuse, en approfondissant l’incision, avait perforé des chairs saines.
    — Voilà ! dit le Cambrésien lorsqu’il eut épreint les abcès avec l’application d’un mire lors d’une saignée.
    Il s’empressa d’épurer les entailles en répandant dessus des gouttes d’eau-de-vie. Puis Barbeyrac y apposa les charpies, les bandes ; Ogier dut l’aider à remettre les braies.
    Saveuse les entraîna quelques pas en arrière et, à voix basse :
    — Cet homme se putréfie… Avez-vous vu ?… Il a le strume… C’est une pourriture vivante… Ogier, prends la seconde fiole, dans le coffret, et verse-la tout entière sur mes mains… C’est de l’eau de camphre…
    Le malade grondait, derrière eux, comme s’il gisait sur un lit de cendres ardentes. Grommelant un « merdaille », Barbeyrac alla se pencher au-dessus de lui. Quand il revint, il était blême :
    — Je l’ai tâté aux aisselles… J’y ai senti comme deux grosses pommes coties.
    S’approchant d’un sabord, il y respira amplement tandis que Loïs de Saveuse jetait son poignard dans la mer.
    Kemper ne se lamentait plus. Il ne sentait ni la froideur de l’entrepont ni le feu de ses blessures.
    — La morille, dit Barbeyrac.
    — En vérité, confirma Saveuse. Il faut nous en débarrasser.
    — Il est vivant, murmura Ogier.
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