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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles
Autoren: Arlette Cousture
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que de la médecine générale.
    Les genoux sortis de l’eau et la nuque immergée, il avait parlé d’une voix monocorde et déterminée. Élisabeth, assise sur le bord de la baignoire, était presque contente qu’il eût les yeux baissés sous les rondelles de concombre. Il ne pouvait ainsi voir qu’elle s’était pincé les lèvres de tristesse. Denis venait de faire une croix sur ce qu’il aimait le plus dans sa profession.
    – Je n’ai pas choisi la médecine pour faire souffrir les gens. Encore moins les enfants. C’est un signe, Élisabeth.
    – Un signe de quoi?
    – Probablement le signe que je dois m’interroger sur qui je suis. J’avais un professeur qui ne cessait de nous répéter que la première qualité du médecin est l’humilité. J’ai peut-être été présomptueux, Élisabeth.Ou orgueilleux. Quand on a trop confiance, on cesse parfois de réfléchir. Il faut que je remette en question toutes les certitudes que j’ai eues.
    Élisabeth détourna la tête, craignant subitement qu’elle-même puisse faire partie de la remise en question. Denis avait enlevé les rondelles et la regardait avec des yeux si confiants que jamais elle n’aurait dû douter d’elle. Il s’assit, tira sur la chaînette du bouchon, tendit la main pour attraper la serviette et s’épongea. Élisabeth était allée chercher le peignoir.
    – Heureusement que je t’ai, Élisabeth.
    – Mais qu’est-ce que ta femme va dire quand elle va apprendre que tu abandonnes l’obstétrique?
    – Rien. Je ne le lui dirai pas.
    – Elle le saura, c’est certain.
    – Je verrai à ce moment-là.
    Élisabeth ne savait s’il se rendait compte de ce qu’il venait de dire. Depuis dix ans, il avait prétexté des accouchements pour passer ses soirées et ses nuits avec elle. Denis devina ses pensées.
    – La seule chose qui va changer, mon bouton-d’or, c’est que nous allons être ensemble beaucoup plus souvent.
    Élisabeth esquissa un sourire, mais, pensant aux raisons de sa démission, elle redevint sérieuse. Denis se rhabilla, prenant un peu plus d’assurance au fur et à mesure que disparaissait sa nudité. Il soupira en se dirigeant vers le vestiaire, enfila son manteau, embrassa Élisabeth et mit la main sur la poignée de la porte.
    – Ah! et puis non!
    Il alla vers l’appareil téléphonique et annonça à sa femme qu’il ne pourrait être à la maison avant deux ou trois heures.
    – Un de mes collègues n’est vraiment pas bien. Je préfère demeurer à ses côtés. Garde-moi un peu de dinde et excuse-moi auprès de nos invités. J’arrive dès que je peux.
    Denis déposa le combiné et se retourna vers Élisabeth, laissant tomber les bras de découragement et d’abandon.
    – Toute ma vie, je me sentirai coupable, ma fleur dorée. C’est moi, moi qui ai prescrit le médicament à la mère. Moi qui lui ai ouvert un des soupiraux de l’enfer. Je viens de changer la vie de toute une famille en mutilant son bébé. Je leur ai fait un horrible cadeau de Noël. Ça m’est arrivé à moi aussi. Je croyais en un médicament et il était aussi sournois que le poison. La thalidomide. Tu te rends compte, mon bouton-d’or?
    Denis chuchotait, la voix éteinte par le désarroi. Élisabeth ne reconnaissait plus le praticien habitué à frôler la douleur et la mort. Ils passèrent deux heures à se sentir et à se consoler, collés comme des moules sur un rocher. Ni lui ni elle n’eurent envie de faire l’amour, la mort d’une parcelle de la vie de Denis les en empêchant.

4
    Sophie regarda son père d’un air de prima donna offusquée. Il venait encore une fois de lui rappeler qu’elle avait raté son solo de la messe de Noël, allant jusqu’à imiter son affalement sur la chaise du jubé. Elle déposa le cadeau qu’elle s’apprêtait à lui offrir et le dévisagea d’un air buté.
    – C’est tant pis pour toi, papa. Je ne veux plus te donner ce cadeau-là même si je l’ai fait moi-même pour ton anniversaire et que tu en as bien envie. Tant pis pour tes quarante ans!
    Le cadeau sous le bras, Sophie, sa queue de cheval nouée d’une boucle de soie ballottant derrière elle, monta à sa chambre devant l’air ahuri de ses parents et de son frère.
    – Ma foi, Anna, je crois que ta fille n’a pas plus d’humour que n’en avait ton père.
    – Franchement, Jerzy, elle a travaillé pendant près d’un mois pour te préparer un cadeau. Est-ce que tu vas lui rappeler tous les jours de l’année
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