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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles
Autoren: Arlette Cousture
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dût-il la conduire à Winnipeg deux fois par semaine.
    Les signes de l’hiver quittèrent enfin la plaine et Jerzy recommença à marcher sur sa terre pour en vérifier le drainage, heureux que le gouvernement de la province du Manitoba eût promis de faire creuser un canal de dérivation pour empêcher les inondations comme celle de l’année 1950. Sa fille venait d’avoir dix ans, et lui et Anna lui avaient offert une énorme boîte qui ne contenait qu’une petite carte de vœux lui indiquant le nom et l’adresse de son professeur de chant. Élisabeth, mise au courant par Anna de leur intention, s’était, semble-t-il, résignée à demander un service à Étienne, qui avait pu faire parvenir, par les soins de CKSB, un magnétophone, gros et encombrant, certes, mais en parfait état de marche. Depuis lors, Sophie et Stanislas leur avaient cassé les oreilles à tout enregistrer, piano, chant, et même les conversations à table. Jerzy avait été contraint de jouer du violon et il avait trouvé très désagréable de s’entendre. Toute savie, il s’était convaincu qu’il était presque aussi bon que sa sœur, mais les sons qu’il avait produits s’apparentaient à ceux du joueur du dimanche qui choisit mal ses mouvements d’archet. Anna lui avait pris la main, se moquant légèrement de lui, ironie qu’il n’avait pas prisée.
    «Mais, Jerzy, tu n’es pas d’accord avec moi? Tout ce que j’ai dit, c’est que c’était bien que tu t’éloignes dans les champs pour jouer.
    – C’est quand même méchant, Anna, de tourner en dérision un rêve déçu.
    – C’était un rêve d’enfant?
    – Le rêve de tous les Pawulscy, Anna.
    – Comme celui de Sophie qui voulait chanter un solo à Noël?
    – Anna! Tu es malhonnête. J’ai complètement cessé de lui en parler.»
    Jerzy l’avait entendue faire claquer sa langue sur sa maudite canine et avait résisté à l’envie de poursuivre la discussion, en craignant l’amertume.
    Les champs étaient simplement humides, comme il les aimait, ne retenant que l’eau nécessaire aux grains. Jerzy alla longer la rivière, la félicitant pour son calme, songeant au peu de temps qui lui restait avant qu’il ne rentre en Pologne. S’il s’était énormément attaché à son pays d’adoption, labourant sa terre avec plaisir et l’ensemençant avec joie, son rêve de rentrer dans sa patrie se faisait si aigu qu’il l’empêchait parfois de dormir. Il n’en parlait plus avec Anna, qui avait balayé cette idée qu’elle qualifiait de sottise. Mais, en bon Pawulski, il savait que les grands maîtres de musique, piano, violon ou chant, étaient en Pologne. Sophie devrait certainement s’y rendre dès qu’elle aurait quatorzeou quinze ans, avant que sa voix ne soit complètement placée, avant que sa technique ne soit déficiente. Il avait la conviction que sa fille deviendrait la diva que la famille n’avait jamais eue. L’Italienne Renata Tebaldi n’avait qu’à bien se tenir: une petite Polonaise en exil arriverait bientôt pour la détrôner.
    Il se pencha pour ramasser une pierre et alla la déposer sur le tas qui grossissait d’année en année, comme si sa terre était si riche qu’elle faisait même profiter les roches. Encore trois semaines et il pourrait manger quelques légumes de l’année. Il saurait aussi si sa récolte serait bonne ou non. Il avait toujours conservé une méfiance incontrôlable envers le ciel, qui lui avait expédié tous les cataclysmes dont un cultivateur a une peur morbide: trop de pluie, trop de grêle, trop d’insectes, trop de soleil sec. Mais aujourd’hui les pousses étaient fragiles et il éprouvait presque un sentiment paternel en touchant du bout du doigt la feuille qui promettait une laitue, celle qui semblait déjà robuste et deviendrait un chou, ou celle sous laquelle se cachait un petit bulbe de betterave. Il songea qu’il aimerait embaucher un homme pour s’occuper des ventes au marché, mais ses revenus n’étaient pas encore assez importants. Anna et un des enfants s’occuperaient des jardins pendant que lui et le second iraient au marché. Habituellement, Sophie aimait rester dans les champs alors que Stanislas, fort de ses douze ans, allait certainement préférer le marché. Douze ans... Jerzy soupira. L’âge que lui-même avait quand son père l’avait confié à M. Porowski, à Wezerow. Il ne l’en remercierait jamais assez dans ses pensées. Son père avait voulu lui ouvrir
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