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L'envol des tourterelles

Titel: L'envol des tourterelles
Autoren: Arlette Cousture
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soirée, imitant son frère Stanislas.
    Jerzy butina d’une prière à l’autre, troublé par ses pensées. Lui, Jan et Élisabeth ne s’étaient pas vus depuis douze ans et il en avait toujours ressenti un immense vide, comme une plaie impossible à cicatriser. Élisabeth lui donnait des nouvelles régulièrement et les mauvais clichés dentelés qu’elle lui expédiait lui montraient une jolie femme encore blonde, dans la jeune trentaine. Elle était toujours seule devant l’objectif, sauf sur l’une des photographies, où Florence lui tenait la taille. Il savait que sa sœur avait brillamment orchestré la carrière de sa petite violoniste de génie et il lui était arrivé à quelques reprises de l’entendre jouer dans des émissions de Radio-Canada rediffusées sur les ondes de CKSB. Jerzy aurait aimé croire à l’erreur de sa sœur, mais il reconnaissait son coup d’archet à elle dans les pièces exécutées par sa protégée et il devait admettre que cette Florence avait prolongé le talent de sa sœurétouffé par la guerre, en lui permettant d’éclater au grand jour par l’instrument d’une autre. Jerzy connaissait assez bien le violon pour deviner que la carrière de Florence ne faisait que commencer. Élisabeth lui avait aussi envoyé des clichés de son filleul Nicolas. Il n’avait jamais failli à sa responsabilité de parrain, lui expédiant des cadeaux ou des étrennes selon les occasions, habituant aussi Stanislas et Sophie à lui écrire de temps à autre. Jan avait également été un bon parrain, s’occupant de son filleul Stanislas chaque fois que cela avait été nécessaire. Jerzy grimaça. Son frère l’avait forcé à pasticher son rôle d’oncle et de parrain. Élisabeth ne lui avait jamais envoyé de photographies de Jan mais ils avaient pu voir Michelle derrière un comptoir d’épicerie. Depuis douze ans, ils avaient reçu trois photos d’épiceries. Jerzy se demanda si son frère allait cesser d’amasser des provisions de nourriture, parce que c’était cela qu’il faisait, il en était certain. Jerzy réprima un sourire. C’était probablement là la seule affinité qui existait entre lui et Jan: le besoin de savoir que la table serait toujours garnie, quoi qu’il advienne.
    La messe de minuit était terminée et le curé était redescendu au pied de l’autel pour commencer un nouveau
Confiteor
. Les enfants de chœur s’agitaient un peu plus qu’a la première heure, de même que les fidèles qui n’avaient pas quitté l’église sur la pointe des pieds au début de la messe de l’aurore en offrant silencieusement leurs vœux aux visages familiers. Jerzy déboutonna son paletot et accrocha son écharpe sous son chapeau. Anna le regarda en souriant, sachant qu’il serait en habit avant la fin de la messe du jour. S’il avait encore horreur du froid et de la neige, il ne supportaitpas davantage d’avoir chaud. Son mari avait, somme toute, des difficultés avec la température.
    – Il me semble que le curé chauffe beaucoup trop, cette année.
    – Pas plus que d’habitude, Jerzy. Si j’étais toi, je cesserais de me plaindre, parce que, dans à peine plus d’un mois, tu vas avoir la réputation d’être un vieux grincheux.
    Anna ricana et Jerzy lui jeta un regard à la dérobée, trouvant sa canine taquine. Il haussa les épaules pour lui faire comprendre qu’elle ne réussissait pas encore à l’énerver. Depuis le début du mois de décembre, elle ne cessait de compter les jours qui le séparaient de ses quarante ans, insistant sur le fait qu’elle aurait l’impression de vivre avec un vieux à la peau ratatinée qui, elle en était presque certaine, allait s’inventer des maux de dos pour s’éloigner d’elle, le soir. Jerzy demeurait imperturbable devant toutes les insanités qu’elle inventait uniquement pour le faire rire, mais il savait qu’Anna sentait le temps les presser s’ils voulaient avoir d’autres enfants, elle-même approchant de ses trente-huit ans. Jerzy n’avait jamais compris comment il se faisait qu’elle n’avait plus été enceinte alors qu’ils avaient tous les deux souhaité une grande famille. Le docteur Dussault, qu’ils consultaient toujours, leur avait dit qu’il n’y voyait rien d’autre qu’un caprice de la nature. Jerzy regarda encore Anna et lui fit un discret sourire. Il ne savait comment elle faisait pour endurer ses sautes d’humeur. Il n’avait jamais non plus réussi à la convaincre de
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