Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le souffle de la rose

Le souffle de la rose

Titel: Le souffle de la rose
Autoren: Andrea H. Japp
Vom Netzwerk:
oublier leurs tâches au
profit de la salle de tripot [19] aménagée pour la détente dans le grand grenier qui courait au-dessus des
écuries. Leone conservait un sourire de commande, cherchant la vérité derrière
la verbosité du précepteur. Que se passait-il ? En dépit de la fraîcheur
de la journée, l’autre transpirait et attaquait son troisième verre d’hypocras.
    L’heure avançait. Leone fit taire ses questions et mit un
terme affable à l’insignifiante mais interminable narration d’Archambaud d’Arville :
    — En dépit du plaisir que j’éprouve à me trouver en
votre compagnie, il me va falloir repartir bientôt, mon frère. Ma route étant
encore longue, j’aimerais prier avant mon départ.
    — Certes... certes...
    Pourtant, Leone eut le sentiment que cette « certitude »
ne le réjouissait pas. Approchait-il du but, ou se leurrait-il d’impressions
sans conséquence ?
    Il lui sembla qu’un voile de véritable tristesse
assombrissait d’un coup l’enjouement forcé du commandeur lorsqu’il proposa :
    — Je ne peux vous laisser aller sans vous avoir supplié
de goûter de notre cidre. Il est célèbre dans toute la région.
    Leone accepta de bonne grâce.
    Ils sortirent peu après du petit édifice pour rejoindre le
temple. Ils passèrent la porte en arc brisé soutenue de quatre contreforts
saillants. L’église, à l’austérité inspirée des constructions cisterciennes, n’était
qu’une simple nef de quatre travées, terminée par une abside semi-circulaire.
De hautes fenêtres en plein cintre permettaient à la lumière d’y pénétrer. Un
autel, nul banc, rien d’autre. Pourtant, dès que Leone avança entre ses
piliers, il sut qu’il était arrivé. Une sorte de vertige délicieux le
déséquilibra et il soupira de soulagement. Le commandeur parut se méprendre sur
son état et agrippa son bras pour le soutenir.
    — Votre fatigue est grande, mon frère.
    — En effet, mentit-il. Votre générosité me
concéderait-elle une dernière faveur ? Je souhaiterais me recueillir seul,
quelques instants. Je reprendrai ensuite mon chemin après vous avoir assuré de
ma reconnaissance.
    Le templier haussa les épaules et sortit vers la lumière de
l’après-midi en précisant :
    — Je m’en vais faire préparer votre monture.
Rejoignez-moi devant les écuries.
    Une mer. Une mer douce et tiède. Un berceau de lumière
accueillante, apaisante. Il avait tant espéré caresser de la main ces lourdes
pierres noir et brun qu’il osait maintenant à peine les frôler. Il ne
chercherait pas, il ne s’affolerait pas en vaines spéculations. Pas aujourd’hui.
Le temps n’était pas venu. Une langueur inattendue lui donnait envie de se
coucher sur les larges dalles sombres, de dormir. Aujourd’hui, il se laisserait
baigner, bercer. Aujourd’hui, il prendrait la pleine mesure de son privilège :
se trouver là, environné de la clef. Leone n’était pas certain de sa véritable
nature, pas plus que ne l’avait été Eustache de Rioux avant lui. S’agissait-il,
ainsi qu’ils l’avaient parfois présumé, d’une sorte de labyrinthe initiatique
tracé dans les pierres, invisible sauf d’un angle précis ? D’un manuscrit
ramené par un moine ou un soldat d’un pillage de bibliothèque ? De ce
papyrus araméen acheté à un Bédouin dans les souks de Jérusalem, celui qu’avait
évoqué le templier dans le souterrain d’Acre ? D’une croix, d’une statue
semée de symboles révélateurs ? S’agissait-il seulement d’un objet ?
    Pas aujourd’hui. Archambaud d’Arville reviendrait vite le
quérir s’il tardait trop. Pourtant, Leone avait obtenu ce qu’il était venu
chercher : la certitude que sa quête recommençait en ces lieux.
    Demain, il s’interrogerait sur les moyens de revenir, de
rester.
    Lorsqu’il passa la porte pour rejoindre le commandeur, la lumière
du soleil le glaça. Un vide déplaisant se fit sous son sternum. Il songea que l’intenable
séparation d’avec son but le rongeait à nouveau.
    Archambaud d’Arville l’attendait devant les écuries. Un
jeune frère de métier tenait son cheval par la bride. À la nervosité soudaine
du commandeur, Leone comprit qu’il avait hâte de le voir partir. Il le remercia
à nouveau et monta en selle.

 
Alentours de la commanderie templière d’Arville,
forêt de Mondoubleau, octobre 1304
    Francesco de Leone n’était pas si fâché de sa rencontre, d’abord
tant redoutée.
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher