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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
Autoren: Stephen Crane
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coups de feu.
    Mais le long serpent rampait doucement de colline en colline sans le moindre coup de feu ni la moindre fumée. Sur la droite flottait un nuage de poussière aux teintes terreuses, le ciel au dessus était d’un bleu féerique.
    L’adolescent examinait le visage de ses compagnons, toujours à guetter la moindre manifestation de faiblesse similaire à la sienne. Mais il fut vivement désappointé. Une vivacité dans l’air qui faisait que les vétérans menaient la marche avec allégresse, presque en chantant, passa au régiment des novices. Les hommes se mirent à parler de victoire comme d’une chose familière. De même, l’échalas fut confirmé dans ses estimations : on allait certainement contourner l’ennemi par l’arrière. On exprima de la pitié pour cette part de l’armée qui se trouvait sur le bord de la rivière, se félicitant de faire partie des invités indésirables qui vont leur tomber dessus comme la foudre.
    L’adolescent, qui se considérait à part, fût attristé par les paroles insouciantes et gaies qui volaient entre tous les rangs. Les farceurs de la compagnie firent tous de leur mieux. Le régiment marchait sur le ton de la rigolade.
    L’effronté soldat à la voix de stentor faisait fréquemment se convulser de rire des lignes entières, avec ses mordants sarcasmes dirigés sur l’échalas.
    Il ne fallut pas beaucoup de temps pour que les soldats parussent oublier leur mission : des brigades entières et des régiments entiers riaient à l’unisson.
    Un soldat un peu gros tenta de voler un cheval devant le portail d’une cour. Il entendait lui faire porter son sac à dos. Il filait avec son butin, quand une jeune fille surgit de la maison et agrippa la crinière du cheval. Une lutte s’ensuivit : la jeune fille, les joues roses, l’œil enflammé, tint bon comme la statue même du courage.
    Les hommes du régiment qui observaient au repos au bord de la route, se mirent aussitôt à hurler d’excitation ; ils étaient pour la jeune fille de tout leur cœur. L’attention des hommes fut si absorbée par cette altercation qu’ils en oubliaient leur grande guerre. Ils se moquaient du soldat qui voulait faire le pirate, et attiraient l’attention sur les multiples défauts de sa personne. Ils soutenaient la jeune fille avec un enthousiasme sauvage.
    De loin, on jetait quelques conseils hardis à la fille : « Tape dessus avec un bâton ! »
    Quand il battit en retraite sans le cheval on l’arrosa d’un caquetage moqueur et de sifflets humiliants. Le régiment se réjouissait de sa défaite. De bruyantes félicitations furent hurlées en direction de la demoiselle, qui, essoufflée, continuait à regarder les troupes avec défi.
    À la tombée de la nuit, la colonne se dispersa, formant des régiments qui campèrent dans les champs. Comme d’étranges plantes, les tentes jaillissaient, et les feux de camp, comme de singulières floraisons rouges, pointèrent dans la nuit.
    L’adolescent évitait de s’adresser à ses compagnons, autant que le permettaient les circonstances. Le soir il fit quelques pas dans les ténèbres. À courte distance, tous ces feux, avec la silhouette noire des hommes qui allaient et venaient devant ces lueurs pourpres, donnaient une atmosphère étrange et satanique.
    Il s’étendit sur l’herbe, dont les feuilles se pressaient tendrement contre sa joue. Accrochée sur un arbre, la lune brillait comme une lampe. Le fluide paisible de la nuit tranquille qui l’enveloppa lui inspirait une grande pitié pour lui-même. Il y avait une caresse dans la douce brise ; et toute cette ténèbre mélancolique, pensa-t-il, sympathisait avec sa détresse.
    Sans réserve, il souhaita être à nouveau chez lui, faisant les allées et venues sans fin entre la maison, la grange et les champs. Il se souvint avoir fréquemment juré contre la vache pie et ses compagnes, quelquefois il avait jeté le banc à traire avec violence. Mais, à présent, son point de vue avait changé : un halo de bonheur entourait chacune de leurs têtes, et il aurait sacrifié tous les gallons du monde pour la possibilité de leur revenir. Il se disait n’avoir pas été formé pour être soldat. Et il s’attardait sérieusement à considérer les différences radicales qu’il y avait entre lui et ces hommes qui s’agitaient autour du feu comme autant de petits diables.
    Alors qu’il ruminait ces pensées, il entendit l’herbe craquer ; et en tournant la
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