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Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)

Titel: Le Signe rouge des braves (Un épisode durant la guerre de Sécession)
Autoren: Stephen Crane
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leur devoir pour leur pays avec sang-froid. Il admettait son incapacité à faire face à ce monstre. Il sentait que chacun des nerfs de son corps écouterait ces voix, alors que les autres hommes resteraient impassibles et sourds.
    Et tandis qu’il transpirait sous ces pensées douloureuses, il entendait ces phrases, tranquillement dites à voix basse : « Je parie cinq »… « Je monte à six »… « Sept »… « Sept je passe »…
    Il contempla le reflet rouge et tremblant d’un feu sur la façade blanche de sa tente, jusqu’à ce que, rendu malade et épuisé par la monotonie de sa souffrance, il s’endormit.

CHAPITRE TROISIÈME
     
    La nuit suivante les colonnes, comme des lignes pourpres, traversaient deux pontons. Un brasier intense donnait à la rivière des teintes vineuses. Ses rayons, se répercutant sur la masse mouvante des troupes, jetaient ça et là de brefs éclairs d’or et d’argent. Au dessus de l’autre rive, une sombre et mystérieuse rangée de collines s’incurvait tout contre le ciel. La nuit solennelle et ses voix d’insectes, chantait.
    Après cette traversée l’adolescent était convaincu qu’à tout moment ils pouvaient subir un assaut violent et soudain du fond de ces bois aux branches basses. Sur le qui-vive, il scruta les ténèbres.
    Mais son régiment arriva sans heurt dans un campement, et les soldats dormirent du bon sommeil d’hommes harassés par la fatigue. Au matin il se remit en route avec une nouvelle vigueur, et l’on pressa le pas le long d’un chemin étroit qui menait tout droit au plus profond de la forêt.
    C’est durant cette marche forcée que le régiment commença à donner quelques signes de lassitude : on désespérait de faire autre chose que marcher. Les hommes commençaient à compter les kilomètres sur les doigts, et ils se fatiguaient :
    – « Des pieds meurtris et ces damnées rations diminuées, c’est tout ce qu’on gagne ! » dit la voix de stentor. On grognait et l’on transpirait. Un moment après, on commença à se délester de son sac à dos. Quelques-uns le jetaient au sol avec négligence ; d’autres le cachaient soigneusement avec la ferme intention de revenir le chercher en temps voulu. On se débarrassait des sous-vêtements trop chauds. À présent, on ne portait que les vêtements nécessaires, les couvertures, l’havresac, les gamelles, les armes et les munitions.
    – « Tu peux manger, boire, dormir et tirer à l’aise maintenant ! » dit l’échalas à l’adolescent. « C’est tout ce dont t’as besoin. Qu’est-ce que tu veux… porter une auberge ? »
    Il y eut un changement soudain. Le corps d’infanterie passa de la forme lourde imposée par le règlement à la forme vive et légère nécessitée par la pratique sur le terrain. Soulagé d’un grand poids le régiment recevait ainsi une nouvelle impulsion. Mais on avait perdu pas mal de bons sacs à dos et de sous-vêtements qui, après tout, étaient excellents.
    Mais le régiment n’avait pas l’apparence de celui des vétérans, qui avait plutôt l’air de petits attroupements d’hommes. Quand ils arrivèrent pour la première fois sur le champ de bataille, des vétérans qui passaient sans but apparent, remarquèrent la longueur de leur colonne et les interpellèrent ainsi :
    – « Hé les gars, quelle est cette brigade ? »
    Et quand on leur répondit que c’était là un régiment et non une brigade, les anciens se mirent à rire en disant : « Mon Dieu ! »
    De même, les casquettes étaient quelque peu identiques. L’état des casquettes d’un régiment devrait proprement représenter l’histoire de la coiffure militaire au cours d’une période. Et de plus, en parlant des étendards leurs lettres d’or n’avaient pas encore subi la patine des ans ; ils étaient encore neufs et beaux, et le porte-drapeau nettoyait soigneusement leurs mats.
    À présent, l’armée était à nouveau au repos, comme pour réfléchir. Les hommes respiraient l’odeur pacifique des pins. Un bruit monotone de coups de hache parcourait la forêt, et les insectes somnolents sur leurs perchoirs chantonnaient comme de vieilles femmes. L’adolescent reprit sa vieille idée de vaste manœuvre d’entraînement des bleus.
    Pourtant, par une aube grise, il fut poussé au pied par l’échalas ; alors, avant qu’il ne fût tout à fait éveillé, il se retrouva à courir en bas d’un chemin boisé, au milieu d’hommes
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