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Le Sang d’Aphrodite

Le Sang d’Aphrodite

Titel: Le Sang d’Aphrodite
Autoren: Elena Arseneva
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d’un homme jeune et fortuné.
    Depuis combien de temps se trouvait-il là ? Il était arrivé bien avant l’heure du rendez-vous. Il avait envie de flâner un peu, et surtout, il voulait prendre le temps d’observer Nadia à son insu avant de l’aborder. L’averse l’avait obligé à pénétrer dans l’une des gargotes face à l’entrée du marché. Quelques bouts de chandelle éclairaient l’unique salle étriquée aux murs de guingois et au plafond bas, noirci par la suie. Deux lucarnes minuscules ne laissaient entrer aucun souffle frais. Des relents de tord-boyaux et de friture empuantissaient l’air. La pièce était déserte, à l’exception de trois ivrognes installés autour d’une table encombrée de gobelets et de cruchons.
    L’homme avait examiné les buveurs avant de s’attabler dans un coin. On venait de lui servir une coupe d’hydromel quand l’un des soudards s’était mis à brailler une chanson paillarde. Comme ses deux acolytes joignaient leurs voix à la sienne, l’inconnu s’était précipité vers la sortie, emportant sa coupe avec lui.
    Ayant rajusté son capuchon, il s’était accoudé à la rampe du perron dont l’auvent le protégeait de l’averse. Il sirotait sa boisson en écoutant l’orage qui s’éloignait, ne laissant qu’une pluie fine. De sa place, il distinguait bien le portail du marché avec ses hideuses décorations, et il sentait petit à petit une vague de colère monter en lui. Par le Christ, il haïssait la laideur ! Face à quelque chose de disgracieux, il devait toujours se faire violence pour se contrôler et ne pas céder à un de ses terribles accès de fureur.
    C’est alors qu’il avait aperçu Nadia.
    Diable ! Cette petite semblait plus attirante que jamais ! Tendre et dodue, le teint frais, la bouche vermeille… Son joli minois affichait une expression mélancolique qui donnait un éclat particulier à ses grands yeux noirs.
    Allait-il l’aborder ? Il avait eu maintes occasions de rencontrer Nadia et de la détailler de son œil expert. Ce n’était plus une fillette, elle était devenue un morceau de choix ! Ses rondeurs évoquaient un fruit succulent, prêt à tomber. Oui, cette vierge semblait prédestinée à être immolée lors du rituel sacré de l’amour ! Mais sa prudence lui commandait de patienter. Il était dangereux de courir plusieurs lièvres à la fois. Or il venait de choisir une nouvelle proie… En outre, en dépit de ses manières aguichantes, Nadia était une oie blanche, et cette sotte espèce apportait souvent plus d’ennuis que de plaisir. Il aurait tout loisir de l’initier aux secrets d’Adonis plus tard.
    Il avait donc continué d’observer la jouvencelle pendant qu’elle tournait en rond, furieuse qu’on ait osé lui faire faux bond.
    — Petite fille, avait-il murmuré comme si elle pouvait l’entendre, je t’apprendrai un jour que l’attente n’est pas toujours pénible et qu’elle peut receler mille voluptés !
    Nadia venait de s’éclipser quand il avait vu débouler sur la place un garçon affublé d’une cotte de mailles flambant neuve. Sûrement un nouveau soupirant de la belle ! Il avait bondi par-ci, par-là, excité et désorienté comme un chiot qui veut s’élancer de tous les côtés à la fois. Mais il arrivait trop tard, il ne lui restait plus qu’à filer, la queue entre les jambes.
    L’homme au visage caché était de nouveau seul. Il inspira l’air rafraîchi par l’orage et contempla le jeu d’ombres sous le soleil redevenu doux et caressant. Le moment n’était guère propice pour rêvasser, d’autres occupations réclamaient son attention. Il chassa l’image de Nadia de son esprit, posa sa coupe vide sur la rampe et descendit les marches du perron.
    Il fit quelques pas, puis jeta un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer que personne ne le suivait. Ces précautions lui paraissaient par moments superflues, mais c’était un bon réflexe qu’il fallait conserver. Il se devait d’être sur le qui-vive, à chaque instant du jour et de la nuit. Ce genre de contraintes n’était guère gênant dès lors qu’on le vivait comme un jeu. C’était un prix dérisoire à payer pour les plaisirs défendus qu’il goûtait. À cela s’ajoutait un autre sentiment jubilatoire : la conscience de narguer la haute société dont lui-même était issu et de mener une vie secrète et scandaleuse au nez et à la barbe de tous ces hypocrites qui
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