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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos
Autoren: Paul C. Doherty
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aurait humilié Édouard en public ?
    — C’est exact, Mathilde. Moi et son fils aurions été hors de son pouvoir. Que pouvais-je faire d’autre ? Il y avait quatre ans que Gaveston était avec nous, Mathilde.
    Elle pinça les lèvres et le timbre de sa voix se voila.
    — Pendant quatre ans j’ai supporté ses sottises, son arrogance, son comportement provocateur envers les barons. Je l’ai laissé boire et dîner, danser et se pavaner, mais j’ai observé ses yeux. Au fil des ans, j’en suis venue à lui déplaire. Il a feint d’être fort heureux de ma grossesse, mais a eu du mal à cacher sa contrariété. La confession de Lanercost à Dunheved a juste confirmé mes doutes. Mon époux était bouleversé. Mathilde, l’amour qu’il éprouvait pour Gaveston n’a jamais été un véritable danger pour moi, mais quand il a vu que cela pourrait le devenir…
    — Le roi a donc laissé Gaveston subir sa destinée ?
    — Oui, Mathilde, vous avez trouvé les mots justes. J’ai prié le souverain de laisser Dieu décider. Après Tynemouth Édouard était plus malléable. À vrai dire, il était aussi plus las, avide de changement, de repos, et se méfiait de l’obsession croissante de Gaveston. Finalement…
    Isabelle fit une petite grimace.
    — … le roi n’a rien fait. Il a abandonné les événements à la volonté de Dieu.
    — Mais maintenant que Gaveston est mort, le roi ne peut-il pas changer ?
    — Non, non, déclara Isabelle. Édouard trouve un grand réconfort dans l’idée que Gaveston a tissé son propre destin. Il l’admet, comme il admet le fait qu’il n’avait d’autre choix que de me défendre. Par conséquent…
    Elle se détourna.
    — Et Dunheved ? m’enquis-je.
    — Frère Stephen ne sera plus mon confesseur. Je ne le soupçonnais pas d’être un criminel jusqu’à ce que j’apprenne ce qui s’était passé à Scarborough et par la suite. Je prendrai mes distances avec lui. Il reste le confident d’Édouard. Dieu sait que rien ne sera entrepris contre lui. Le roi ne voudra simplement pas savoir. D’ailleurs il a envie de savourer sa nouvelle liberté, de se réjouir de son pouvoir, d’exulter parce que sa belle épouse porte son héritier. Quant à l’avenir…
    Elle me prit la main.
    — Mathilde, ma fille*, terminez votre tâche ici, puis retrouvez-moi à l’abbaye tôt, demain matin, après la première messe. Que les choses en restent là.
    Alors, appelant ses écuyers, elle s’éloigna dans une bouffée de délicieux parfum. Je quittai la roseraie pour me rendre dans l’église du prieuré, assombrie, si pleine de sinistres souvenirs, hantée par les spectres des victimes. J’allai à la chapelle de la Vierge, allumai des cierges à l’intention de ces âmes sacrifiées et pour ceux que j’aimais. Les flammes dansaient dans l’ombre. Je levai les yeux vers le beau visage serein de la Vierge et entonnai un poème que ma mère m’avait appris : Tu as mis au monde le Sauveur de l’Univers, Bénie sois-tu, Marie*…
    Et maintenant, réfugiée dans une autre maison de franciscains, je scrute l’obscurité des années passées. J’aperçois dans un embrasement de lumière dorée les visages aimés de ceux qui nous ont quittés depuis longtemps. Je vois aussi celui de Dunheved. Oh, frère Stephen Dunheved ! Il nous plaît d’imaginer la justice divine comme dans ces mystères qu’on représente, jaillissant telle une flèche, aveuglante tel l’éclair. Nous voulons croire que le jugement est prompt, la sentence vite délivrée. Mais il n’en va pas ainsi dans la vie. De même que le temps coule peu à peu, la justice de Dieu est lente. Le jour du jugement arriva pourtant pour Dunheved et les autres : Lancastre, Pembroke, Hereford, Warwick. Les victimes de Dunheved le rattrapèrent au château de Berkeley quelque quinze ans après ces temps troublés à York. J’étais là quand il fut appelé à comparaître devant Dieu. Mon visage fut le dernier qu’il vit avant qu’on l’emmure vivant dans une tombe où son corps se décompose maintenant. Mais ça c’était plus tard, quand les furies se rassemblèrent à nouveau, tels de menaçants nuages noirs et bas, avant que le châtiment divin cingle comme la pluie pour emporter de nouveaux péchés des hommes.

NOTE DE L’AUTEUR
    Les événements de ce roman sont fondés sur des faits décrits par des chroniques contemporaines, particulièrement la Vita Edwardi Secundi – La Vie
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