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Le règne du chaos

Le règne du chaos

Titel: Le règne du chaos
Autoren: Paul C. Doherty
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PROLOGUE
    Celui qui perd le plus […] est considéré
    comme le plus brave et le plus fort.
     
    Je m’éveille. La nuit est sombre et pesante. Étendue, je me débats avec rage contre la lumière déclinante de ma propre vie. Des ombres enveloppent les montagnes et les vallées profondes de mon âme, toutes peuplées par les fantômes d’antan. J’écoute le bruit des pas du sacristain et de son escorte qui, lanternes en main, assurent une stricte veille entre complies et matines, ici, au prieuré franciscain de Grey Friars, niché comme un oiseau sous la splendeur altière de St Paul. Si je me levais et regardais par la fenêtre, je pourrais apercevoir le haut clocher de la cathédrale avec son fanal éclairant, de nuit, les rues et venelles de Cheapside, sa flèche, la cage d’infamie et l’écriteau du cimetière, le cœur vivant de cette ruche bourdonnante qu’est Londres. Le tintement morose des cloches marque le passage des heures et la lente approche de l’aube. Quand les matines sonnent, je quitte mon lit et fais une toilette minutieuse. J’enfile ma chemise de lin, mon lourd bliaud, d’épais bas de laine sur mes vieilles jambes et me chausse de sandales de cuir noir. Je passe ensuite une bure d’ermite afin de me vêtir comme l’un des franciscains. J’enserre et cache mes cheveux, désormais blancs comme neige, dans une guimpe bleu clair puis, vanité des vanités, me contemple dans un miroir de cuivre poli. J’aperçois mon visage tel qu’il est maintenant et me souviens de mon apparence quand la vie brûlait en moi comme une torche ardente. Les spectres du passé, après tant d’années, du temps où j’étais clerica medica atque domicella reginae camerae – clerc, physicienne et dame de la chambre – d’Isabelle, épouse d’Édouard II, se rassemblent autour de moi. C’était un temps de chaos où Dieu et ses anges dormaient. Une époque de troubles où la roue de la fortune tournait vertigineusement, abattant rois et princes, égrenant en une véritable litanie les noms de ceux qui avaient rencontré une mort atroce sur le champ de bataille, dans des cachots isolés, ou pendus haut et court sur un échafaud public.
    Moi, Mathilde de Clairebon, Mathilde de Ferrers, Mathilde de Westminster, me réveille pour laisser libre cours à ces souvenirs. Les frères m’hébergent céans, tout au fond de leur sombre prieuré. Quand je me glisse, comme un fantôme, le long de ses couloirs voûtés, gargouilles et babouins m’adressent des grimaces comme s’ils connaissaient la vraie raison de ma présence en ces lieux. Édouard d’Angleterre, troisième du nom, fils d’Isabelle surnommée « la Louve » et de son renard d’époux, a ordonné que je sois cloîtrée ici. C’est ce qu’il appelle une mort vivante. Il ne veut pas que j’erre de-ci de-là comme une écervelée à la tête vide, faisant des confidences à qui veut les entendre. Le Roi de fer, avec ses yeux perçants et son visage autrefois beau, sa blonde chevelure ternie striée à présent de gris, voulait entendre ma confession. J’ai refusé. La mer vomira ses morts avant que je livre mes secrets. Dieu sait qu’il a essayé de corrompre ma loyauté avec moult babioles, mais je suis heureuse dans ma retraite. Je respecte les longues et saintes heures de matines à laudes jusqu’au chant de complies, mais du moins suis-je avec elle, avec Isabelle. Elle gît dans le chœur de l’église de Grey Friars, dans un tombeau superbe qui contient les restes de son corps ravissant, revêtu de ses vêtements de noces, près de l’endroit où Mortimer, le maître absolu de son cœur, a aussi été enseveli. Mortimer le Guerrier qui, au terme de sa brève carrière de gloire, resta pendu, nu, pendant trois jours à une potence des Elms. Je finis par couper la corde qui retenait sa froide dépouille et par l’apporter ici afin que les frères l’ensevelissent dans son linceul de soie. Quand était-ce donc ? Oh, il y a si longtemps – trente ans au moins !
    Et voilà que je suis là. Le frère gardien, jeune et austère, visage rude mais cœur d’or, m’a installée dans une cellule voûtée donnant sur le cimetière, un endroit paisible plein de fleurs des champs en été. Les brises, chargées de la fragrance de l’herbe fraîche, nettoient, purifient ma chambre tout en me caressant le visage. Je dispose d’un petit scriptorium sous la fenêtre où je rédige ma chronique secrète. Un frère lai, Simon du Pilori,
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