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Le piège

Le piège

Titel: Le piège
Autoren: Emmanuel Bove
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chose à côté de ce qu’il aurait pu dire s’il n’avait pas dû mourir.
Il avait beau aimer Yolande plus que tout au monde, il ne pouvait plus le lui
dire. Il écrivit encore : « Je t’aime, je t’aime », comme un
enfant au bas d’une lettre.
    Puis il se leva, s’approcha d’un jeune
homme roux qui avait des taches de son autour des yeux. Il avait tout de suite
éprouvé de la sympathie pour lui. Ce jeune homme était assis, les mains
pendantes entre les jambes, complètement indifférent à ce qui se passait.
Bridet lui prit une main. Ce contact était comme de l’eau fraîche sur les
tempes. Être fusillé ainsi, en tenant cette main, ce serait moins terrible.
Mais on croirait qu’ils avaient peur. On leur dirait qu’ils devaient mourir
comme des hommes. Bridet lâcha cette main.
    À trois heures, le curé de Venoix fit son
entrée dans le camp. Il était accompagné d’officiers allemands, de civils et d’un
capitaine de gendarmerie. Ils marchaient lentement, comme pour ôter à l’exécution
un caractère de précipitation qui eût eu quelque chose de barbare. Mais on
sentait qu’ils étaient pressés et qu’au fond d’eux-mêmes, ils n’avaient qu’une
pensée en finir le plus vite possible.
    À 4 h 10, les otages furent
rassemblés devant les bureaux. Un camion manœuvrait un peu plus loin pour se
placer face à la route. Il était gêné par un autre camion dont on n’arrivait
pas à remettre le moteur en marche. Les Allemands s’affairaient. Ce petit ennui
semblait avoir suffi à leur faire oublier la raison de leur présence. Il n’en
fallut pas davantage pour faire renaître un peu d’espoir. « Reculez-vous »,
dirent-ils aux otages. « Est-ce que vous voulez un coup de main ? »
cria l’un d’eux en essayant de prendre un ton goguenard, mais il y eut quelque
chose de tellement tragique dans sa voix que personne ne parut l’entendre.
    Bridet était parmi les otages, mais effacé,
comme un étranger, pas du tout en vue à côté de ceux qui, à chaque instant,
commençaient à chanter sans jamais terminer leur chanson, à côté de ceux qui sortaient
parfois du groupe en gesticulant, faisant des appels à la justice des hommes,
cherchant à provoquer on ne sait quel incident à la suite duquel il serait
gracié. Il était derrière, mais ce n’était plus comme au lycée ou au régiment.
Il avait beau être derrière, il n’était pas oublié.
    On procéda à un appel. Le hasard fit que le
nom de Bridet fut prononcé le dernier et que pendant tout le temps que dura
cette formalité, il put espérer qu’on ne l’appellerait pas, qu’au dernier
moment un incident juridique (le fait qu’il avait été désigné comme otage alors
que légalement il ne devait plus faire partie du camp) s’était produit.
    Pour monter dans le camion, bien qu’aidé,
il fallait faire un effort physique. Bridet eut une défaillance. Ce furent ses
camarades qui le hissèrent. En cours de route, les cahots le tirèrent de son
évanouissement. Le temps était superbe. Bridet regardait le soleil sans que
celui-ci lui fît le moindre mal aux yeux. Était-ce la mort imminente ?
Mais ce soleil lui semblait vivre intensément dans le ciel bleu et ses rayons s’allongeaient
et se raccourcissaient sans cesse comme des flammes.
    Bridet pensait qu’il n’aurait pas plus la
force de descendre du camion qu’il n’avait eu celle d’y monter. Ce fut à ce
moment qu’une idée extraordinaire lui vint à l’esprit, une de ces idées simples
qui, selon ce que nous y mettons de nous-mêmes, paraissent géniales ou
insignifiantes. Elle lui fit brusquement retrouver toutes ses forces. Cette
idée était que, quoi qu’il fît, il ne pouvait plus échapper à la mort et que,
puisqu’il fallait mourir, autant mourir courageusement.
    Et ce fut ce qu’il fit.
    ** *
    Le lendemain matin, des femmes de Venoix
vinrent déposer des fleurs sur les tombes. Elles revinrent dans la soirée, puis
les jours suivants, de plus en plus nombreuses. Bientôt les tombes disparurent
sous les fleurs. Les Allemands laissaient faire. Mais comme ces manifestations
prenaient un sens hostile, qu’elles ne semblaient plus dictées par le souvenir
mais par une volonté de provocation, l’ordre arriva de la préfecture de les
interdire. Deux gendarmes furent postés à l’entrée du cimetière. Les femmes
essayèrent de passer quand même. Ils les repoussèrent doucement, les exhortant
au calme sur un ton bonhomme pas
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