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Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante
Autoren: Arnaud Delalande
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sol. Il se précipita pour attraper celle d’Emilio. Celui-ci reculait près de l’autel. Rageur, il avisa l’un des grands cierges de la Chapelle Majeure, que soutenait un haut pied de bronze doré. Il y donna un coup de talon, faisant voler le cierge, et se saisit du lourd instrument. Il le tenait maintenant à deux mains. Son allonge était plus importante, devant un Pietro fatigué et blessé ; mais il lui était plus difficile de se mouvoir. Ils contournèrent l’autel, le combat se prolongea dans le bas-côté gauche de l’église. De nouveau, les deux hommes se jaugèrent, hésitant à prendre l’initiative du premier coup. Pietro tenta une extension, sa main tremblait. Il ne fit que se perdre dans le vide. Il en allait tout autant de Vindicati, qui s’évertuait à balayer l’espace de son manche de bronze, pour tenir Pietro à distance. Il se passa ainsi plusieurs secondes, durant lesquelles Pietro et son adversaire brassèrent le vent. Non loin, les flammes du cierge que Vindicati avait renversé léchaient l’une des tentures pourpres qui encadraient l’autel. Soudain, le tissu s’embrasa tout entier. Le feu menaçait maintenant de se propager dans l’abside.
    Ce fut alors que, réunissant ses forces, Emilio se découvrit une fraction de seconde, les épaules retranchées, pivotant sur ses hanches pour frapper son coup de grâce. Le pied de bronze décrivit un arc de cercle dans l’espace. Pietro se baissa...
    Tiens !
    ... et se fendit d’un coup une nouvelle fois.
    Image bien singulière. La Chimère, il Diavolo , Emilio Vindicati, ancien chef du Conseil des Dix, venait d’être embroché avec sa propre lame. Transpercé au-dessous de la Trinité de Masaccio, l’épée fichée dans un montant de bois, non loin du pilier où s’envolait vers le ciel une chaire de pierre ouvragée de Cavalcanti.
    La main de l’Orchidée Noire restait crispée sur le pommeau, profondément enfoncée dans le corps de son ennemi. Ils ne bougeaient pas, visage contre visage. Vindicati avait à présent une haleine de cuivre. Une haleine de sang. A la première seconde, ses traits s’étaient durcis, reprenant une expression qui lui était coutumière – et familière à Pietro : une expression de dureté, d’autorité, propre au rôle qu’il avait joué durant tant d’années, celui de chef des Ténébreux. Puis, réalisant que Lucifer était vaincu, il s’était comme décomposé. Son visage avait blêmi; ses sourcils s’étaient arqués, sa bouche s’ouvrant dans une stupeur muette. Ses yeux retrouvèrent l’éclair de folie qui les animait autrefois, et roulèrent dans leurs orbites. Il chercha à voir ce qui se passait en contrebas. Un filet de sang s’échappa de sa bouche. Il hoqueta. Pietro ne lâchait pas sa prise. Les mains d’Emilio se portèrent sur les épaules de son ancien ami, comme s’il cherchait un soutien. Peut-être voulut-il articuler quelque chose, mais il n’y parvint pas. Enfin, Pietro se recula. Les mains de Vindicati retombèrent lourdement le long de son corps. Un peu plus loin, le pied de bronze traînait.
    Vindicati agonisa encore quelques secondes. Il était ainsi, comme un pantin, sous l’image du Christ en croix, celle-là même qu’il avait fait composer pour le meurtre de Marcello Torretone au théâtre San Luca ; Lucifer foulé aux pieds de la Trinité. Pietro se remémora soudain le dessin de la Porte de l’Enfer qu’il avait entrevu dans la Libreria de Vicario, au début de son enquête. Cette illustration aux parfums kabbalistiques, découverte dans ce livre à l’étui de feutre et de velours, rédigé d’une écriture sèche et gothique. On y voyait la Porte, immense, posée dans le sol comme une stèle, ou un cyprès funéraire, et le Prince des Ténèbres à figure de bouc, les démons jaillissant de sa chair, par-dessus ces amoncellements de crânes, d’ombres mortes, de faces hurlantes, de membres enchevêtrés. Le tableau auquel était maintenant cloué Vindicati évoquait soudain cette gravure, le drapé de Lucifer s’ouvrant sur les abîmes, tandis que la Trinité transfigurée achevait de se perdre dans l’obscurité de ses lignes de fuite, condamnant le Tentateur à tout jamais. Pietro se souvint aussi de l’inscription qui courait au-dessus de la Porte : Lasciate ogni speranza, voi ch’intrate.
    Vous qui entrez ici, abandonnez toute espérance.
    Au fond, près du maître-autel, les tentures achevaient de se consumer dans les flammes,
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