Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le piège de Dante

Le piège de Dante

Titel: Le piège de Dante
Autoren: Arnaud Delalande
Vom Netzwerk:
fallait un témoin oculaire, direct, de ma propre mort... Quelle plus belle ironie que de te choisir, toi ? Mon plan se déroulait à merveille. Et te voici au bout de ton voyage, Pietro Viravolta de Lansalt, toi que nous baptisâmes ensemble l’Orchidée Noire... Au dernier Cercle. Tu l’as deviné, n’est-ce pas? Celui du Neuvième Cercle, Pietro... C'était toi. Qui, mieux que toi, pouvait servir mon jeu, et être l’instrument privilégié de mes coups de dé ? L'Orchidée Noire! Déjà une légende! A toi seul, tu les comptais toutes, ces fautes grâce auxquelles j’ai construit ma petite charade : athée, luxurieux, adultérin à répétition, gourmand, joueur, charlatan, impulsif, menteur, libertin, la liste ne saurait même s'arrêter là ! Imagine combien il m’était doux de vaincre une Venise décadente en me jouant de celui qui en était le plus parfait emblème! Oui, Pietro, toi ! Ah, quel plaisir, en vérité. Je savais tout de toi, et des autres : les Dix et la Quarantia marchaient main dans la main, et j’avais pour seule activité de me renseigner sur tous, avec la bénédiction de Loredan et des Conseils ! Marcello était fiché, et le prêtre de San Giorgio, et Campioni, Luciana, l’astrologue Fregolo, tous des pions, comme toi... Je faisais surveiller sans aucun mal chacun de vos faits et gestes... Trois capitaines de l’Arsenal étaient vissés par la terreur; Vicario tenait avec moi les corporations. Oui, nous avions toutes les cartes en main.
    Pietro hocha la tête. Il y avait des lueurs de folie dans le regard de Vindicati.
    — Et tu as pensé pouvoir renverser Loredan...
    Vindicati eut un sourire narquois.
    — Pietro, je t’en prie... Ouvre les yeux! Venant de toi, que la République a conduit aux Plombs et promettait au pire, la chose est plaisante ! Tu as vu ce Carnaval – voilà ce que nous sommes devenus! Des pantins de carnaval, dirigés et manipulés par des institutions fantoches! Et moi, j’étais roi de l’une d’entre elles. Les Dix, Pietro... les Ténébreux. La pire et la meilleure de toutes. Mais considère un instant le spectacle que Venise offre aujourd’hui à la face du monde! Une cité factice, au bord de l’engloutissement, où tout n’est plus que cacophonie, corruption, dissimulation, tractations secrètes, intrigues du Broglio ... Nous avons ruiné l’égalité entre les aristocrates, et en refusant d’asseoir notre nécessaire autorité, nous avons favorisé une autre sorte de despotisme, celui du Sénat, dépositaire de tous les pouvoirs, et dont il n’est jamais rien sorti de grand!
    — Ma parole, mais tu crois encore à tes sornettes...
    — Je te croyais hostile aux prébendes, Pietro ; je te croyais l’ami de la concorde et de la puissance de Venise, malgré tout... Mais crois-moi, moi qui ai assumé en secret ou à visage découvert les oeuvres les plus viles de la République, moi qui n’ai cessé de côtoyer ces politiciens véreux, ces espions, ces étrangers avides de boire notre sang, ces brigands, ces corporations si promptes à se mettre à la solde de nos ennemis de toujours, ces ladres et ces filles de joie que je condamnais quotidiennement à croupir au fond de nos cachots ! Sais-tu ce que c’est, que de patauger sans cesse dans le marais le plus noir du coeur humain, de se noyer chaque jour dans la fange du meurtre, des délations, de la bassesse, de la médiocrité, jusqu’à l’écoeurement, jusqu’à se vomir soi-même ? Nous n’avions d’autre solution que la brutalité et la répression, pour endiguer la décadence. Il en est ainsi des anciens Empires qui n’en finissent plus de mourir. C'est fatal. Il fallait réagir.
    — Réagir? En organisant meurtre sur meurtre?
    — Mais tout cela n’était qu’une goutte dans l’océan ! Nos institutions, Pietro : la clé était dans nos institutions. Cela, ton ami Giovanni Campioni l’avait compris; malheureusement, il avait choisi le mauvais camp. Regarde ces offices dont les têtes tournent chaque semaine, comme des toupies! Regarde ces procédures absurdes, qui nous font inlassablement changer de dirigeants, des pantins eux-mêmes, sans autre talent que celui des mesquineries et des coups bas ! Une termitière! Nous étions assis sur des barils de poudre, et dirigés par des sommets d’incompétence! Le gouvernement politique de Venise tourne tous les six mois, au gré du vent, Pietro, et pendant ce temps nous avons perdu notre lustre, nos colonies et tous nos
Vom Netzwerk:

Weitere Kostenlose Bücher