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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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de la salle et je l'ai découvert.
    Agénor tira sur son cigare.
    — Il était coincé entre un pupitre et la cloison de la fosse d'orchestre. J'ai envoyé Chalumeau le déposer chez lui. Vous croyez qu'il m'aurait remercié, ce souffleur de clarinette ?
    — C'était quoi, ce manuscrit important ?
    — Un ballet d'opéra écrit par... Vous ne devinerez lamais.
    Sûr de son effet, Agénor Féralès exhala une bouffée de fumée avant de répondre :
    — Olga Vologda.
    — Vous plaisantez ! Elle ? Je n'en crois rien.
    — Si, si, elle me l'a confirmé, elle m'a même prié de lui obtenir un rendez-vous pour en discuter avec Mlle Sanderson, la diva de Thaïs, et M. Maurel, le I ago d' Otello .
    — Et vous l'avez fait ?
    — Bien entendu, qui résisterait à une telle femme ? C’est que j'ai mes entrées, moi.
    — Agénor ! Monsieur Pagès ! Qu'est-ce que vous fricotez ? Vous n'aurez que des rogatons !
    — On vient, Maria, on vient !
    Melchior détendit ses membres ankylosés et renifla avec mépris.
    « Misérables mortels, le temps est un robinet qui goutte inexorablement ! Médisez, livrez-vous à des ragots fielleux, louez vos médiocres talents ! Les voies de mon Père sont parfois sinueuses... »
    Mangée aux trois quarts, la pièce montée avait l'aspect d'un pan de falaise frappé d'éboulement. Craignant sans doute que les hôtes ne soient pris de regrets, les garçons s'empressèrent de l'emporter aux cuisines et servirent cafés et digestifs.
    Des corneilles picoraient les miettes du festin sur la pelouse râpée où, au son du violon et de la clarinette, s'apparièrent des couples amateurs de polka. Comme on manquait d'hommes, on dansait entre filles.
    Un garçon s' approcha du clarinettiste et lui remit un paquet enveloppé de papier rose. Tony Arcouet s'absenta. Il revint cinq minutes plus tard, la trogne réjouie, et emboucha de nouveau son instrument.
    Melchior se surprit à marquer la mesure du poing droit cogné dans la paume gauche. Il s'interrompit soudain, scruta le ciel obstinément sec et murmura :
    — Alors, cher Omnipotent, votre douche, c'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
    Dieu avait décidé qu'il ne pleuvrait pas ce jour-là. Cette clémence incita Olga Vologda à se renseigner sur la location de barques.
    — Cinquante centimes par passager la demi-heure, ils ne s'embêtent pas ! s'exclama Joachim Blandin, toisant le loueur de bateaux qui se curait tranquillement les dents.
    — À ce tarif-là, on traverse la Manche à petite vitesse et grand doucement, et bonjour la perfide Albion ! ajouta Tony Arcouet.
    Mais ces dames insistaient, la fête exigeait que l'on se promenât sur le lac, rebaptisé étang nuptial et peuplé de monstres marins à l'apparence trompeuse de canards contre lesquels on lutterait au besoin à coups d'aviron.
    Embusqué sur la berge, Melchior Chalumeau vit s'entasser dans une embarcation Olga Vologda escortée des deux musiciens, du gros quincaillier et de Lambert Pagès. Agénor Féralès, Maria, l'ancien pompier et deux ballerines partirent à l'assaut d'une autre. Dégoûté, le pêcheur de souliers rangea son pliant et son attirail.
    — Activez, moussaillons ! Des pirates nous pourchassent, si nous lambinons, ils nous éperonneront et nous découperont vifs ! cria Olga.
    Les rames grincèrent sur les tolets et clapotèrent sans relâche tandis que l'équipage s'esclaffait en houspillant un cygne belliqueux.
    — Je suis le capitaine sans loi ! Olga, grimpez au nid-de-pie ! clama Tony Arcouet. Et vous, matelots Blandin et Broussard, souquez ferme, ramassis de fainéants !
    — Fainéant vous-même, grommela Joachim Blandin.
    Mais, mon cher, le capitaine sans loi ne sait dire que cela ! rétorqua Tony Arcouet.
    Recroquevillé à la proue, Lambert Pagès s'efforçait d'étouffer sa phobie de l'élément liquide, obsession naturelle chez un homme n'ayant jamais appris à nager ailleurs qu'à la Bourse. Fils orphelin d'aristocrates déchus, il appartenait à cette classe désœuvrée qui spécule avec modération pour tuer la médiocrité de son quotidien. La veille, il s'était morfondu rue Vivienne, happé par l'offre et la demande. Seule la perspective d'une virée dans le bois de Vincennes en compagnie de la sublime Olga Vologda l'avait encouragé à supporter cette journée maussade. Il n'était pas sans savoir que sa chétive carcasse dégingandée rebutait la danseuse, mais, à force de se ruiner en pralines, il avait obtenu d'elle un semblant de
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