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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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calfeutra les issues. Ils se réjouissaient d'être en sécurité...
    L'écureuil se coula au pied d'un tronc et fusa jusqu'au sol où pointait une herbe drue au milieu de laquelle il traça une flèche sanglante. Melchior sursauta. Il lutta contre la langueur qui paralysait ses membres et son cerveau. Il lui fallait à tout prix juguler le côté tortueux de son être, étouffer les impulsions agressives qui voulaient resurgir. Il se faufila sous une fenêtre du restaurant et appliqua son nez à la baie vitrée. Il détailla les ballerines et les habilleuses, se complut à les classer selon leurs charmes d'antan, lorsque, tendrons, elles excitaient ses sens. Il s'attarda sur Olga Vologda, l'imagina quinze ans plus tôt en tenue de drôlesse russe, blouse brodée moulant une poitrine naissante, maillot rose enserrant des cuisses potelées. Il haussa les épaules, incapable de lire sous cette silhouette majestueuse l'enfant qu'elle avait été. Quel dommage que la croissance contraignît ces aguichantes chrysalides à se muer en géantes dotées de rotondités sans attrait !
    Il se concentra sur les éléments masculins, identifia deux habitués du foyer de la Danse. À la droite d'Olga, Lambert Pagès rongeait un pilon de poulet. Ce boursicoteur, fou de ballet et de bel canto, d'une minceur distinguée, dont le visage aux yeux délavés couronné d'une abondante crinière carotte ondulée avait quelque chose de britannique, ne ratait jamais une générale. Son compère Anicet Broussard, un quincaillier au mufle rubicond et à la mise tapageuse, exécutait des arpèges du bout de sa bottine sous les froufrous d'une couturière dévergondée.
    « C'est comme s'il avait un melon coincé sous chaque aisselle, ce patapouf ! »
    Étaient également de la partie le clarinettiste Tony Arcouet, dandy chevelu, seul musicien de l'orchestre que Melchior évitât avec constance, et le violoniste Joachim Blandin, un bon vivant porté sur la bouteille.
    « Il finira par racler du fromage à l'intention des funambules ! »
    Joachim Blandin plaisait aux femmes, enthousiasmées par sa stature d'athlète et sa figure angélique menacée d'empâtement précoce.
    Le marié, Agénor Féralès, que ses yeux globuleux élargis par des lunettes à monture d'écaille apparentaient à un hibou, avait convié un pompier à la retraite, jadis préposé à l'Opéra, un chef machiniste et un apprenti costumier, personnages falots que la séduisante Maria paraissait fasciner.
    « Qu'il se méfie, l'Agénor, elle aura tôt fait de croquer le blanc-bec à qui elle enseigne l'art de l'aiguille ! Je les honnis ! Je suis une farce de la nature, l'avantage c'est que j'ai plus de sagesse qu'eux sans pour autant être envié »
    — Le dessert ! Sous la pergola ! Venez, venez, il y a du soleil !
    Le petit homme se blottit à l'abri d'un fusain.
    Tandis que des serveurs se hâtaient de dresser une table en plein air, deux marmitons agencèrent en son centre un grand ouvrage de pâtisserie en forme de palais Garnier. Debout près de leurs chaises, les convives s'impatientaient.
    Dissimulé aux regards, le petit homme observait l' abordage.
    « Admirez-les se bâfrer ! II va y avoir des indigestions ! »
    Tony Arcouet leva son verre.
    — À la mariée ! Et à la vôtre, Lambert ! N'est-ce pas vous que j'ai lorgné dimanche à l'hippodrome de Longchamp ? A mon avis, certains vont aux courses comme ils se rendent à la Bourse. C'est la Bourse des petites bourses !
    Lambert Pagès se mura dans un silence mortifié. Agénor Féralès lui fit un signe d'intelligence et l'entraîna à l'écart.
    Melchior Chalumeau se pelotonna derrière son fusain. Les deux hommes s'étaient placés de telle sorte qu'ils lui faisaient face, il pouvait voir leurs souliers.
    — Allons, mon vieux Lambert, dédaignez ces jeux de mots stupides le jour de mes noces, ce butor d'Arcouet veut se faire mousser, il a besoin d'une tête de Turc. Un cigare ?
    De peur d'être repéré, le petit homme n'osait esquisser un mouvement.
    — Je vous assure que je l'ai invité contraint et forcé, insista Agénor, je suis diplomate, tant qu'il est en odeur de sainteté auprès de la danseuse étoile, je le ménage. Tenez, la semaine dernière il m'a joué un mauvais tour.
    — Sans blague ?
    — Sans blague. Il m'a humilié devant le personnel à la fin d'une répétition parce qu'il ne retrouvait pas un manuscrit important, il me soupçonnait de vol, le goujat ! Le soir, j'ai inspecté les recoins
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