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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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sillonné d'un lacis de rides, évoquait une chope à bière. Elle avait allumé une lampe à pétrole, avalé sa soupe, empli les gamelles de sa ribambelle de chats qu'elle nourrissait de déchets prodigués par les commerçants du voisinage. Cette meute de cagneux créchait près du puits dans des clapiers qui, aux temps heureux, avaient abrité des lapins.
    Suzanne avait eu autrefois des amis. Aujourd'hui, personne n'était là pour l'appeler par son prénom. La guerre, la misère, l'âge l'avaient vouée à la solitude, il ne lui restait que ses chats.
    Ma petite Suzanne, tu es une grosse fainéante, une bonne à rien ! Allez, au boulot ! Tu as du pain sur la planche, il faut te surpasser.
    Elle avait pris l'habitude de s'adresser à son chouchou, M. Duverzieux, un matou au regard émeraude. Cela la revigorait autant que la rincée de liqueur de pêche qu'elle s'octroyait avant de préparer sa marchandise.
    Elle s'affairait en se dandinant de la cuisinière au buffet surchargé de babioles, de fleurs artificielles et du portrait jauni d'une fillette en robe de communiante.
    — Travailler, ça devenait trop dur. Avec des cheveux blancs, on ne veut plus de vous à l'usine. Une veine que j'aie reçu les allocations de ce gentil monsieur, j'aurais aimé le connaître. Pendant dix ans il n'a jamais failli, les mandats arrivaient recta. Pour élever votre petiote, qu'il m'a écrit. J'ai accepté, je ne voulais pas qu'elle soit une bête de somme, ma gamine. Turbiner du matin au soir à mettre en boîte des allumettes, on finit par perdre ses poumons, le soufre, ça vous bousille. Seulement maintenant, il faut que je me débrouille seule, elle est élevée depuis belle lurette, ma fille, elle s'est fait une place au soleil, mais c'est tout juste si elle me visite deux fois l'an. Bah, il faut apprendre de la vie à souffrir de la vie, hein, monsieur Duverzieux ?
    Ce fut à cet instant qu'une voisine s'apprêta à frapper au carreau. Dix minutes plus tôt, Pauline Drapier s'était aperçue qu'il lui manquait trois œufs pour battre l'omelette. Elle avait enfilé une veste et confié la garde de sa roulotte aux deux mioches qui dormaient chez elle après les leçons d'orthographe et de calcul qu'elle leur dispensait. Ils logeaient rue de la Durance, et regagner leur domicile à cette heure tardive eût été dangereux. M. et Mme Célestin, les parents d'Alfred et Ludo, la payaient rubis sur l'ongle. Ils rêvaient de savoir leurs rejetons assez instruits pour échapper à l'existence pénible des artistes forains.
    Pauline Drapier laissa son geste en suspens. Quelqu'un venait de pénétrer chez Mme Arbois. Un homme ? Une femme ?
    La fenêtre était tellement déglinguée qu'elle pouvait entendre Mme Arbois :
    — Vous êtes en avance, ce n'est pas encore prêt, il faut que je les enveloppe. Asseyez-vous donc. Vous prendrez un cordial ?
    Il n'y eut pas de réponse. Mme Arbois enchaîna : — C'est une douzaine que vous m'avez commandée ? Ce sera un sou pièce. Vous avez un cabas ?
    Elle s'approcha de l'évier. Une chaise grinça. Une ombre difforme s'étira au plafond. Deux mains se refermèrent autour du cou de la vieille dame et serrèrent, serrèrent, serrèrent... Mme Arbois s'affaissa et s'écroula au sol.
    Tout se déroula si vite, au milieu d'un tel silence, que Pauline ne put assimiler de façon rationnelle ce qui venait de se passer. Elle vacilla et se retint au mur en meulière troué comme une éponge. Une pierre se détacha.
    — Non, souffla-t-elle. Oh, non !
    Persuadée d'avoir révélé sa présence, elle se jeta à plat ventre parmi les broussailles, ses mâchoires claquèrent. L'unique son qui parvenait à sa conscience était sa respiration saccadée.
    Elle compta lentement jusqu'à cinquante et décida de risquer le tout pour le tout. Une chance sur dix, une sur cent ? Au prix d'un effort surhumain, elle se redressa. S'enfuir ! Mais une force inconnue l'incitait à rester. Pliée en deux, elle se glissa derrière le muret du jardin.
    Un lilas la dissimulait. Une lampe à pétrole éclairait les clapiers et le puits. L'ombre soulevait un corps, le hissait par-dessus la margelle.
    Pauline perçut le plouf assourdi. Si elle avait voulu crier, elle en eût été incapable. L'ombre rabattit le couvercle du puits, brandit un marteau et, à l'aide de clous tirés de sa poche, se mit en devoir de le condamner.
    Pauline piqua une tête dans la cabane béante des latrines. Elle saisit une balayette, résolue à se
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