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Le petit homme de l'Opéra

Le petit homme de l'Opéra

Titel: Le petit homme de l'Opéra
Autoren: Claude Izner
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défendre contre l'indicible.
    La lumière faiblit.
    L'ombre se dirigea vers la cuisine. Pauline eut la vision fugitive d'une houppelande à capuchon. Elle ne put distinguer de visage.
    L'ombre se déplaçait à l'intérieur de la maison.
    La porte s'ouvrit. D'une démarche chaloupée, l'ombre s'éloigna, happée par la nuit.
    Pauline osa enfin sortir de sa cachette. Un frôlement sur sa jupe lui arracha un gémissement. Repoussant M. Duverzieux, elle avisa un rectangle blanc sur la margelle. Une enveloppe égarée par l'ombre ?
    Elle courut d'une traite jusqu'à sa roulotte. Les gamins dormaient. Une bougie se consumait au fond d'un verre.
    La pièce était de dimensions réduites, le mobilier sommaire : une armoire en pitchpin, une table, un tabouret, un réchaud à alcool, une couchette étroite, une étagère supportant quelques manuels scolaires.
    Elle décacheta l'enveloppe, en tira un carton.
    Vous êtes prié d'assister à la représentation exceptionnelle de Coppélia 1 qui aura lieu à l'Opéra le mercredi 31 mars 1897,
    À 9 heures du soir
    Habit de soirée de rigueur
    Auoun nom, aucune adresse.
    Prévenir la police ? Il y aurait enquête, elle serait impliquée, qui sait si on ne la soupçonnerait pas ? Elle escamota l'invitation entre les pages de Francinet 2 , le livre de morale et d'instruction civique qu'elle utilisait pour apprendre à lire à ses élèves, puis elle ôta sa veste. Soudain elle eut un coup au cœur. Les bons points ! Ils avaient disparu ! Elle se revoyait les recenser avant de partir quérir les œufs chez Mme Arbois, il y en avait dix-huit, noués par un ruban élastique. Elle fouilla ses poches. Rien. Affolée, elle explora minutieusement la roulotte sans résultat. Une rafale de questions lui traversa l'esprit. Les avait-elle perdus près de la maison du crime ? Y retourner ? Elle n'en avait ni l'audace ni l'énergie. Et si l'ombre les trouvait, parviendrait-elle à remonter jusqu'à elle ? Elle serra les mains si fort que ses phalanges blanchirent. Les yeux écarquillés, elle fixa le plafond.
    Blottie près des garçons, elle contempla par la lucarne les premières lueurs de l'aube.
     
    Vendredi 12 mars
    Dans un ruissellement de gouttières, le ciel dégorgeait un lot quotidien d'averses lâchées sur la ville en rideaux brouillés. Quand la pluie daignait s'interrompre, des bourrasques souffletaient les passants qui courbaient le dos. Atteindre la nuit et se pelotonner sous un édredon, les pieds plaqués à une bouillotte, à condition que l'on possédât un toit, tel était l'objectif de chacun.
    Une clarté diffuse effleura la coupole du palais Garnier, se coula le long d'une corniche où des pigeons entamaient leurs roucoulades et buta contre une tabatière striée de rigoles. Au-delà de cette vitre, à l'abri, un tas de couvertures palpitait.
    — Chalumeau... Chalumeau... Melchior Chalumeau.
    Le petit homme se répétait ces mots. C'était son nom, il avait besoin de l'entendre lorsqu'il tentait de renaître à la réalité. Non sans peine, il abandonnait peu à peu l'espoir d'incarner le héros du drame lyrique évoqué par ces syllabes.
    Chaque matin, Melchior Chalumeau éprouvait la même déception : il n'était qu'un individu ordinaire, dépourvu de beauté, privé de sa jeunesse, affligé de multiples élancements lombaires.
    Il s'assit brusquement, cherchant à recouvrer ses esprits, et scruta les contours indistincts de sa soupente. À mesure qu'ils devenaient plus nets, l'impression d'étrangeté se dissipait. Emmitouflé dans un cache-nez, il se mit debout sur le lit et colla son front à la lucarne ronde. Au loin, des cheminées fumaient. En bas, rue Auber, les lourdes caisses des omnibus à triple attelage embarquaient des cargaisons de parapluies.
    Le vaste carrefour où s'embranchaient sept voies se muait en décor de ballet. Trottins, distributeurs de prospectus, comptables, ouvrières, sergents de ville, crieurs de journaux, une procession s'étirait sur les trottoirs humides. Les cochers rassemblaient leurs guides et lançaient leurs véhicules parmi les flaques de la chaussée, les sabots des chevaux troublaient les reflets des becs de gaz. Les charrettes des boueux rabotaient les pavés. Perchés sur des échelles, des commis épongeaient les vitrines de boutiques dont leurs collègues avaient ôté les contrevents. Le cœur de la capitale trépidait à l'heure de la toilette journalière, sous le regard aveugle des statues de bronze postées en
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